141025

Des yeux à la mer. J’essaie de dérouler le fil de la signification. Essaie d’échapper à la fascination malsaine qu’exerce sur moi le cours des choses et des actions humaines. De la sorte ? Que veux-tu dire ? Est-ce en déroulant le fil que ? Oh non, ceci n’a rien à voir avec cela, ce sont simplement des chaînes d’événements qui ont lieu de manière simultanée, en quelque sorte, mais n’ont pas le moindre rapport entre elles. D’ailleurs, dans l’une, c’est moi qui pense — ou, du moins, qui laisse mes pensées aller et venir, me dispose à ce que leur cours aille libre, contrairement donc à celui des choses et des actions humaines — cependant que, dans l’autre, je ne fais qu’assister bouche bée à quelque chose qui m’échappe totalement parce que je n’ai aucune prise là-dessus et parce que je n’y comprends rien. Tout cela me semble tellement bête. Mais ce n’est pas un argument, ce sentiment de la bêtise. Ah bon, mais quoi d’autre alors ? Après tout, qu’est-ce qui est le mieux à même de t’informer sur le monde sinon le sentiment qu’il t’inspire ? C’est-à-dire : vas-tu te laisser berner, simplement parce qu’il faut bien faire quelque chose ? Mais il n’y a rien à faire. J’entends : il faudrait savoir ne rien faire.  Oui, c’est quelque chose qui s’apprend. À la frontière avec le délire, sans doute, oui, et alors ? Souviens-t’en : les mains vides. Et ce que j’entends par là, ce n’est pas tout à fait, en réalité, ce que Pascal entendait par sa chambre en repos. L’idéal des mains vides, ce n’est pas la cellule de moine, la réclusion, le solitaire en son désert. Les mains vides n’enferment pas. Trivialement, par exemple, je peux marcher les mains vides, et je ne marche jamais mieux que les mains vides. Ce qui n’est pas du tout trivial, en vérité. Et les mains vides, ce n’est pas strictement ne pas agir, c’est ne rien faire : non pas disparaître — on ne disparaît pas, en vérité, un jour, on meurt, et c’est tout, et c’est bien assez tôt —, mais exister différemment, adopter une autre attitude face à la vie, au monde, à l’univers.  Notre morale ne doit pas être constituée dans une relation à, une intériorité par opposition à une extériorité, mais une intériorité dans l’extériorité (parmi). Cela te paraîtra peut-être très abstrait, mais moi il me semble que c’est bien plus, non pas concret, ce n’est pas le mot qui convient, je n’ai rien contre les idées abstraites, tant s’en faut, mais bien plus réel que toute la réalité qu’on nous promet, toute la réalité qu’on promeut, les perspectives de croissance, les réformes, les accords de paix ou de gouvernement, le transhumanisme et son artificielle intelligence, l’avenir, toutes choses pour lesquelles je n’ai aucun désir. Donnez-moi quelques moutons, cela suffira à mon bonheur.