Front de mer. J’ai marché tout l’après-midi sur la frontière. Et le vent soufflait si fort que, par moments, il me bousculait, me faisait perdre l’équilibre, par moments, m’arrosait de ses vagues, par moments, me recouvrait de son sable. Sur la frontière, là où la ville s’ouvre à quelque chose d’autre qu’elle-même, là où elle n’est plus elle-même, plus urbaine, mais déjà sauvage, plus civilisation, mais inculte, ἀτρύγετον, qui ne donne pas de récolte, là où la culture s’abolit. Marseille est une ville selon mon cœur parce que ce n’est pas une ville fermée, mais une ville ouverte aux quatre vents, grand ouverte sur la mer, quand Paris est une ville close, qui se sera toujours abritée derrière des murs d’enceinte, qui reculeront toujours, certes, mais seront sans cesse là, un peu plus loin, c’est tout, et aujourd’hui encore, Paris s’encercle pour s’efforcer — en vain, probablement — de demeurer elle-même, rien qu’elle-même. Je marche sur la ligne de démarcation et je pense au poème que je vais écrire, là-bas, à l’endroit où je veux aller, et j’y pense tellement que je l’écris en marchant, sans m’arrêter, pianote pour l’inscrire, télégraphiste de moi-même, avant de mettre les choses dans l’ordre, plus tard, une fois rentré à la maison. La maison, peut-être n’en ai-je pas, peut-être ne sais-je pas où c’est chez moi, c’est vrai, il m’arrive souvent de me poser la question et de ne jamais trouver la réponse, ou alors une qui semble rhétorique — ma maison, c’est l’air, le soleil, le vent qui souffle, la mer, le sable, l’écume, la distance, les éléments —, mais ne l’est pas le moins du monde. Tout en l’écrivant, je réfléchissais au poème que j’étais en train d’écrire ; mais non pas seulement ce poème-ci, qui était en train de venir, sa signification, plutôt, la signification des phrases que j’écris, l’ensemble qu’elles forment, quand j’écris comme j’écris cet après-midi. Et de tout cela, j’aurais presque pu faire une théorie, mais j’ai eu l’impression que ce serait absurde, parce que trop rigide, trop dur, trop encerclé, trop fermé, replié sur soi-même. La clôture, c’est la mort. Enfin, je crois. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? N’a-t-on pas besoin de murs, pas besoin d’abri ? Toi qui dors chaque soir à l’abri du chaud, de la pluie, du vent, du froid, comment oses-tu dire cela ? Eh bien, il faut être comme la vie : et ouvert et fermé. Mais non pas replié (et donc non pas déplié). Il faut être sans plis. Sans répit non plus. J’ai marché une vingtaine de kilomètres ainsi, secoué par les éléments, et la joie, malgré la fatigue qui finit par se ressentir, la joie était immense, la joie d’aller à la surface de la terre, de mettre un pied devant l’autre, d’avancer et d’écrire des poèmes, de me laisser aveugler par le bleu profond des nuages, l’écume jaune de la mer, l’éclat de la pierre.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.