Humecter la mouture, disait la phrase étrange qui me tira du sommeil de fortune que j’avais fini par trouver, dans la nuit de samedi à dimanche, en écoutant au casque And Their Refinement of the Decline de Stars of the Lid, après que le voisin du dessus, lequel s’est depuis lors fait pardonner en nous offrant à tous les trois des chocolats, décida de faire trembler les murs aux alentours de quatre heures douze du matin et, par là même, de me réveiller. Il fêtait son anniversaire, nous a-t-il écrit sur le petit mot qu’il a glissé dans le sac qu’il a laissé — discrètement, je suppose — accroché à la porte d’entrée, et avait prévu de finir la soirée dans l’appartement d’un ami, mais ce dernier en avait malencontreusement perdu les clefs. Ah, les surprises que la vie nous réserve, tout de même. La vérité, je crois, est douloureuse, et je préfère mon sommeil au chocolat. Étrange, ai-je dit à propos de cette phrase, parce que l’on ne s’attend pas à entendre dans le disque d’un duo ambient originaire d’Austin, Texas, des mots tirés d’un film français des années 1980, que je n’ai jamais vu, 37°2 le matin. J’avais déjà dû les entendre toutefois, ces mots, mais les oublier, puisque ce disque, lui, je le connais. Je lui préfère The Tired Sounds of Stars of the Lid mais, dans la nuit de samedi à dimanche, c’est le premier sur lequel je suis tombé. Avant de monter en pyjama chez le voisin pour me plaindre que les murs tremblaient et lui demander d’arrêter la musique, j’avais pris la peine de me recoiffer en me regardant dans le miroir de la salle de bains, précaution sans doute superflue, étant donné l’état d’alcoolisation avancée du voisin, mais on a sa dignité. Enfin, moi, j’essaie de la garder. On sauve ce que l’on peut, dans l’existence. Et c’est tout ce que j’ai trouvé. Circonlocutions assommantes sur des détails oiseux de mon insignifiant quotidien, me reprochera-t-on probablement à la lecture de ce bavard paragraphe, mais de quotidien, je n’en ai pas d’autre. Je ne m’en plains pas, n’étant pas certain d’être fait pour une autre vie, une vie d’aventure, par exemple. L’écueil de l’écriture, qui plus est, n’est-ce pas précisément cela : le sujet ? On croit qu’il faut avoir quelque chose à dire, mais est-ce si important ? Du point de vue de leur sujet, tous les livres tendent à se ressembler parce qu’ils appartiennent à la même époque. Et de même, du point de vue de l’écriture, parce qu’ils appartiennent à la même époque. Il ne s’agit pas d’avoir quelque chose d’extraordinaire à dire. Mais de quoi s’agit-il alors ? Je crois que je n’ai pas envie d’apporter une réponse à cette dernière question, même pas vraiment de la chercher. Tous les livres tendent à se ressembler, ai-je dit, et cette phrase, ce n’est pas la lassitude d’écrire qui me l’inspire, mais plutôt l’absence d’envie de lire les livres que l’on écrit. Absence que nulle idéologie ne commande, nul principe général, simplement mon goût. Et, comme ma vie, mon goût, c’est tout ce que j’ai.

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