211225

Ce matin, sous la pluie, le jardin était presque désert. C’était sa façon à lui d’être vivable, enfin, ou sa façon à moi, je ne sais pas. Y a-t-il une vraie différence à faire ? J’étais là, il pleuvait, c’était beau, même si j’étais tout mouillé. Je n’ai pas écrit de poème en marchant, mais ce n’est pas pour cela que j’étais sorti marcher ; j’étais sorti simplement pour marcher. Tout en marchant, je me suis dit qu’il ne servait à rien de me mettre en colère, à rien de concevoir de la haine, et dans ces expressions — il m’a fallu un certain temps pour parvenir à ces formulations —, le plus important, c’étaient les verbes : me mettre, concevoir, c’est-à-dire que je peux être en colère ou haïr — il peut se trouver que je sois en colère à cause de quelque chose ou quelqu’un, après quelque chose ou quelqu’un ou que je haïsse quelque chose ou quelqu’un —, ce sont des sentiments qu’on ne contrôle pas — on ne choisit pas de ressentir ce que l’on ressent, on le ressent, c’est la réaction de l’organisme aux actions dont il est l’objet —, mais cette colère ni cette haine ne doivent pas être le résultat de mes actions à moi. Formuler les choses ainsi m’a fait du bien, comme si je pouvais, en formulant les choses, en découvrant la bonne façon de les exprimer, à la fois mieux les comprendre — ce qui est assez trivial —, mais aussi mieux les appréhender, me sentir mieux. On pourrait dire que la psychologie se dissout dans l’analyse du langage (ce serait une version de la solution wittgensteinienne au problème de la vie), mais ce n’est pas ce que je veux dire : la psychologie pas plus que l’analyse du langage ne me préoccupent en tant que telles, elles me préoccupent en tant qu’elles occupent mon esprit, ma façon de me comporter, de sentir et de me sentir, de vivre. Que la psychologie se dissolve dans l’analyse du langage ou qu’elle ne s’y dissolve pas, si je me sens mal dans ma peau, cela ne m’importe guère. En revanche, si trouver la bonne façon de formuler des états de choses (la façon dont les choses sont, la façon dont je me sens, en relation ou non à ces choses qui sont) me permet de me sentir mieux, de mieux vivre, cela m’importe. Il ne s’agit pas de dissoudre telle discipline théorique dans telle autre, il s’agit de dissoudre la chose dans une façon de la dire qui permette de la comprendre, de l’appréhender et de la vivre mieux, et de la vivre bien, enfin. L’analyse du langage — je pourrais dire : l’analyse logique, je pourrais dire : la grammaire —, l’explicitation par le langage doit dissoudre l’esprit, le vider de ce qui l’encombre, faire place nette pour autre chose, ce qui n’enferme pas en soi-même, mais ouvre sur le monde. Il pleut, je marche sous pluie, je me sens mal dans peau, mais je peux trouver une façon de décrire la cause de ce malheur singulier qui me permette de mieux vivre (et non de mieux le vivre : je ne veux pas mieux vivre le malheur, mieux vivre le mal, je ne veux pas vivre le malheur, pas vivre le mal, vivre le bien) et, à la fin, peut-être, de vivre bien. À quelle fin ? Ou : à la fin de quoi ? À la fin de la phrase. La fin de la phrase doit coïncider avec la dissolution du problème de la vie.