La découverte d’un fait dans la biographie d’un aïeul me trouble quelques instants, et puis je cesse de m’y intéresser. Un autre que moi — j’entends : un autre écrivain que moi —, découvrant le même fait, aurait probablement une attitude tout autre et, se plongeant dans les archives et autres documents d’époque (pour les témoignages de première main, il me semble que c’est un peu tard, l’aïeul est mort depuis longtemps), s’en emparerait pour composer quelque fresque egoromanesque. Quant à moi, la vérité est plus simple : cela ne m’intéresse pas. Tant le fait, auquel je me sens étranger (je ne suis pas responsable des agissements de mes ancêtres et ne crois guère au poids du roman familial, au destin atridesque), que le roman de genre (on a beau voir qu’il pullule, on compte deux syllabes en trop) — mon drame familial et moi — dont je n’ai pas envie de me mêler. Je sais pourtant que, si j’étais quelqu’un de sérieux, qui aborde la littérature comme il se doit — comme un métier —, je devrais me précipiter sur ce fait, fouiller, enquêter, excaver, exposer, raconter non seulement l’histoire du fait, mais l’histoire de la quête du fait, de ses raisons, toute la petite panoplie où le mauvais journalisme côtoie sans vergogne la médiocrité artistique, mais je n’en ai pas la moindre envie, l’idée même me plongeant dans le plus profond ennui (comme, je crois, ces lignes suffisent à le faire sentir). Je rêve d’autre chose. Et, peut-être, ne suis-je que cela : un rêveur, un enfant, mais un tâcheron des lettres, l’écrivaillon standard, non. C’est dommage, si j’écrivais les livres que je n’écris pas, ces derniers sortiraient sans doute à la rentrée de septembre ou à celle de janvier. N’est-ce pas ce dont tout le monde rêve : raconter sa petite histoire, être publié et passer à la télé ? Mon petit moi et moi : tout comme il faut casser la télé (en tant que symbole et système), il faut détruire le moi. L’un et l’autre sacrifices vont ensemble, d’ailleurs : c’est le système qui fabrique des entités à force de croyances erronées. Les immoler ; notre salut. Je vais à la fenêtre. La mer est noire, que je sonde du regard : il n’y a pas de réponse dans l’univers, pas de raison dernière, il faut vivre pour l’instant qui vient, afin qu’il vienne, voilà notre philosophie d’amour.

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