Peut-être que ce qui me sauve, c’est une certaine esthétique de la mort. Mourir foudroyé comme Cézanne, oui, pourquoi pas ? Mais comme ça, dans la rue, comme un vieux machin dans la ville où il a fait ses études et rencontré la femme de sa vie, de passage après un certain nombre d’années sans y être retourné, honnêtement, non, voilà qui serait trop laid. Mais passer la fin de l’après-midi de l’avant-dernier jour de l’année à attendre qu’on appelle le numéro indiqué sur son ticket (le 72, pour être exact) dans un centre de santé de la périphérie d’Aix-en-Provence ne l’est pas moins. C’est Nelly qui m’y a traîné, et j’ai fini par lui céder, et à la raison, enfin. Ou comme Robert Walser, alors, dans la neige, un 25 décembre. Je ne dis pas qu’il faut choisir comment mourir (je ne parle pas nécessairement de suicide), mais une mort ne doit-elle pas être à l’image de la vie ? Comme Socrate. Il y a un passage ironique à ce sujet — à peu près à ce sujet — dans l’Homme sans qualités : alors qu’il réfléchit à la façon d’aménager son château viennois, Ulrich passe en revue des théories de l’habitat parmi lesquelles s’en trouve une qui, partant du constat que l’homme moderne naît à la clinique et meurt à la clinique, affirme qu’il faut que sa demeure ressemble à une clinique. Comment vivre, comment mourir, comme habiter, ces trois questions, en effet, n’en forment qu’une seule : une manière de philosophie de la vie, laquelle nous conduit souvent à remarquer que notre existence est bien moins choisie que contrainte. On fait comme on peut avec les moyens plus ou moins précaires dont nous ne disposons pas vraiment, ou bien à peine. Et, si nous avons un peu de chance, nous parvenons à faire de notre mieux. Morale décevante ? Sans doute, oui. Mais ne le sont-elles pas toujours, j’allais dire : les vraies, eh bien, disons-le : ne le sont-elles pas toujours, décevantes, les vraies morales, celles qui ne succombent ni aux charmes de sentences définitives ni aux prestiges de l’esbroufe ni ne s’abandonnent aux facilités trompeuses des phrases toutes faites, dogmes, et autres formules magiques ? Mais, pour qui sait les entendre comme il le faut, comme il convient (ne t’inquiète pas, cela s’apprend, camarade), elles éclairent la vie d’un jour lumineux, sans ombres fallacieuses.

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