vingt-et-un décembre deux mille vingt-trois

Pas nécessaire que le destin du monde se joue à chacun de mes gestes, non. Je puis me contenter d’être, au contraire, et comment dire ? un peu plus léger ? non, je ne dirai pas cela ainsi, alors comment ? un peu moins lourd, mais n’est-ce pas la même chose ? non, il y a une nuance à sentir et, dans cette nuance, si ce n’est donc le destin du monde, beaucoup de choses se jouent. Mais qui est encore capable de nuance, de légèreté ? À l’attitude religieuse qui place tout être sous le regard sans paupière de l’œil invisible du châtiment, en préférer une autre, et la faire valoir, qui connaisse l’art des distinctions : tout n’est pas décisif, capital, terminal, définitif, comme des rimes qui s’embrassent, il y a tant de choses qu’on peut faire, et dire, et penser, sans que cela porte à conséquence. On peut badiner, comme on disait jadis, mais la langue de jadis n’est pas celle de naguère, alors on ne badine plus, on se scrute, s’auto-analyse sans cesse, se place sous le regard dur et froid de la morale, de la religion, avec ou sans dieu, c’est le même œil impitoyable qui dit que rien ne doit demeurer injugé. Sur ce point, comme sur tant d’autres, encore qu’elles ne disent pas rigoureusement la même chose, l’écologie et la théologie ne tient-elles pas les mêmes propos ? Chaque geste est pesé, mesuré, rapporté à l’étalon unique de tout existence à partir duquel décider, en fonction de sa conformité ou non à la loi toute-puissante, de sa valeur. Et personne ne doit demeurer impuni. Tout le monde doit payer. Or, cette haine sans bornes de l’impuni, à partir de laquelle tout est susceptible de devenir crime, et d’entraîner châtiment, n’est-elle pas le propre du fanatisme ? Se regarder, et se sentir regardé. Peut-être cela rassure-t-il, en fait : on ne se sent plus seul, toujours sous le regard intransigeant de la loi. Contrairement à toi, la loi ne dort pas ; elle veille. Comment n’en perdrait-on pas la raison ? Ce matin, j’ai écrit à R. la réponse que je voulais lui faire depuis plusieurs jours, et cela m’a empli de joie, non pas tant en raison de la nature particulièrement profonde de ma réponse, loin s’en faut, mais de la réponse même, du seul fait de répondre, ce que j’omets souvent de faire, sans toujours comprendre pourquoi. Le 13 décembre, il m’écrivait qu’il avait de la peine quand il sentait que j’en avais en lisant mon journal et évoquait la joie que Kertész disait ressentir en écrivant malgré l’horreur de son sujet. Je ne lui ai pas répondu sur ce point, mais sur d’autres (Benjamin et le communisme), pourtant, je crois que c’est le plus important : la joie que malgré l’horreur l’écriture procure. Elle ne guérit probablement pas de tout, mais elle sauve de tout. Et cette nuance (santé /\ salut), parce qu’elle peut être de pure immanence, cette nuance doit pouvoir faire une immense différence dans notre vie.

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