Trois mars deux mille vingt-quatre.

Ce matin, quand je suis sorti me promener, j’ai eu avec moi-même une conversation que je ne retranscrirai pas ici. Je n’ai rien oublié, pourtant, de celle-là, demain ou dans trois jours, dans trois ou dans un mois, avant, oui, sans aucun doute, je le pense cependant, tout sera tombé dans l’oubli, oui, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ; cette conversation, je préfère la laisser à elle-même. Tout ce que je me suis dit, ce matin, tandis que je me promenais avec moi-même, je le pense, et c’est cela, certainement, qui me déplaît, qui me déplaît, non, cela ne me déplaît pas,  à proprement parler, c’est plutôt que cela me plaît même un peu trop, et qu’étant d’accord avec moi-même, je ne puis m’empêcher de suspecter quelque chose de louche dans cet accord avec moi-même : être d’accord avec moi-même m’est suspect. Voilà, c’est cela : je me sens suspect. Parce que, qui est d’accord avec soi-même, ne peut s’empêcher de croire qu’il a raison. En sorte que, ce qu’il faudrait, c’est ne jamais être d’accord avec soi-même. Est-ce que cela ne contredit pas l’idée qu’il est possible de parvenir à l’harmonie (idée dont j’ai fait l’article) ? Eh bien, non, peut-être pas. Voire, c’est tout le contraire : l’harmonie n’est pas l’arrêt, l’immobilité, une harmonie une fois pour toutes, c’est cela qui serait insensé. Il faut toujours tout reprendre, se reprendre soi-même, pour commencer, et s’oublier soi-même, et s’empêcher soi-même de tomber dans le confort épuisant de la satisfaction de soi. Se donner sans cesse du mouvement. Pourtant, tout se passe comme si — dans le monde social, c’est ce que je veux dire — qui n’est pas convaincu de détenir la vérité ne pouvait être autorisé à prendre la parole. Alors même que ce devrait être tout le contraire : ne devrait prendre la parole, ne devrait être autorisé à prendre la parole, que qui n’a absolument aucune idée de ce que c’est la vérité, ne devrait être autorisé à parler que qui n’a absolument aucune autorité, ne se revendique d’aucune autorité, ne sait pas quoi dire, ne sait même pas de quoi on parle, n’est même pas certain de savoir parler. On aurait alors affaire à des dialogues aux confins de la raison, de la logique, auxquels on ne comprendrait probablement rien, des gens qui passent leur temps à chercher leurs mots au lieu d’asséner avec le débit de la mitraillette des vérités définitives car contentes d’elles-mêmes, on aurait affaire à des gens qui se taisent, non qu’ils ne croient plus aux pouvoirs de la parole, mais parce qu’ils cherchent leurs mots. Ah, chercher ses mots, en voilà une noble disposition, des meilleures, des meilleurs. Qui croit savoir parler mange ses mots. Qui croit savoir parler ne se nourrit que de ses mots. Et monologue comme ventriloque. Il faut de l’air entre les phrases, de l’air dans les idées, de l’air dans les pensées. On se donne du mouvement pour savoir où l’on va, se donne du mouvement pour savoir ce que l’on croit, et qu’on ferait peut-être mieux de ne pas.