Les deux bâtiments blancs de l’ensemble HLM qui se trouvent en face forment un angle droit qui prolonge l’angle droit de la fenêtre par laquelle je les regarde et découpe dans le paysage une sorte d’ouverture sur des arbres une grande tour et la colline qui monte jusqu’au ciel en même temps qu’il le bouche. Mais moi, aussi, me dis-je, moi aussi je bouche le paysage. Le paysage, ce n’est jamais rien d’autre que le regard que tu portes sur ce qui se trouve autour de toi. Et tu es toujours une obstruction pour un regard possible. Je regarde les grands oiseaux de mer blancs qui traversent le champ d’horizon délimité par ma fenêtre en se laissant flotter dans l’air portés par le vent qui souffle depuis plusieurs jours à présent. Pourquoi ai-je le souvenir d’un moi qui n’aimait pas le vent, qui n’aimait pas ce vent qui souffle ? Aujourd’hui, ce moi me semble étranger. Parce que tu aimes le vent ? Non. Parce que je le comprends. De l’autre côté, à ma droite, par la baie vitrée, derrière les immeubles, les immeubles en construction et la grue qui les surplombe, les nuages blancs s’étirent sur un ciel qui, par endroits, paraît plus blanc et, par endroits, moins blanc que les nuages. Mais c’est une description inexacte, me semble-t-il, parce que ces nuages qui s’étirent ne sont pas uniformément blancs, ils sont plus sombres au premier banc et blanchissent en proportion de leur éloignement, plus ils sont loin de moi, plus ils sont blancs. Il y a quelques minutes, je regardais les ombres du linge qui sèche sur le balcon bouger sur le carrelage blanc du salon. Il y a eu une rafale de vent encore plus forte que les autres et j’ai cru que l’étendoir allait se renverser, mais non. Ce n’est pas une péripétie. C’est quelque chose qui a lieu. En regardant depuis ma table où j’écris ce qui se trouve de part et d’autre des fenêtres qui m’encadrent, je pourrais à présent me demander s’il faut préférer les péripéties aux choses qui se passent, mais je me dis tout de suite que les péripéties sont des choses qui se passent. C’est vrai, oui, c’est vrai, me dis-je. Mais il y a une différence d’intensité. Un coup de feu est une péripétie. Un étendoir que le vent ne renverse pas, non. Est-ce qu’on préfère les péripéties aux choses qui se passent simplement à cause que l’on s’ennuie ? Pour tromper l’ennui ? C’est l’ennui qui me trompe. Je pose mon coude sur la table, mon menton sur la paume de ma main, j’attends qu’un oiseau de mer traverse le champ d’horizon délimité par ma fenêtre et, quand il passe, je lui suis des yeux. Un. Deux. L’un après l’autre. Les deux en même temps. Trois. Oiseaux de mer au-dessus des toits des immeubles. Au-dessus des arbres. Au-dessus de la colline. L’espace est-il le même de part et d’autre de ma fenêtre ? À la table où j’écris et à vol d’oiseau ?
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