15.11.20

Je m’y reprends à trois fois pour écrire cette page. Peut-être est-ce le signe que je ferais mieux de me taire. Mais je ne le fais pas. Je m’efface. Recommence. Efface. Recommence. Entretemps, lisant un article au sujet d’une histoire sordide, je découvre ce mot d’un expert : conjugopathie, et je me demande quel esprit malade peut bien inventer un mot pareil avant de me corriger, évidemment, dis-je, ce n’est que dans une civilisation malade qu’on peut inventer des mots pareils. Preuve qu’on parle trop. Sans doute. Ou qu’on ne parle pas assez. Pas assez bien. Mais qu’est-ce que c’est, bien parler ? Essaie de deviner. Ailleurs, je lis quelqu’un qui explique que la peur de dire des bêtises doit s’effacer derrière la peur plus grande de, etc. Et, à moi, tout semble lié : jamais la peur de la bêtise ne devrait s’effacer devant quoi que ce soit. Langue approximative pensant dans une forme d’à peu près une réalité aux contours flous qu’elle ne parvient pas à cerner. Comment faire pire ? Il y a toujours quelqu’un qui trouve le moyen de. Nous ne devrions avoir qu’un seul but : trouver une thérapie pour notre civilisation. Au lieu de quoi nous ajoutons du langage à du langage. Couche après couche. Désédimenter. Wittgenstein voulait ramener les mots de leur usage métaphysique à leur usage ordinaire. Or à quoi peut-on ramener l’usage ordinaire ? À quelle civilisation ? Les pieds plantés ici, il faut avoir la tête ailleurs. Oui, mais où ? Ciel gris. Par la baie vitrée, je cherche l’horizon du regard. Et celui-ci s’arrêtant encore sur l’une de ces grues qui en interdit l’accès, j’essaie de comprendre, mais n’y parviens pas. Il arrive que le sens et le non-sens se ressemblent tant que tout paraisse sur le point de basculer, de s’effondrer.