Quiconque se trouve au monde est à sa place. Encore faut-il savoir qu’y faire. Remontant la traverse que j’emprunte dans un sens et puis dans l’autre pour aller me promener, je surprends malgré moi une phrase dans la conversation entre un homme et une femme qui transporte un bébé dans une poussette. Elle lui dit quelque chose à quoi il répond Ça va pas changer ma life. Ensuite, c’est une femme à vélo qui hurle sur sa fille à vélo, indifférente à ce qui l’entoure : Mets le pied droit sur la pédale en bas, lui répète-t-elle trois ou quatre fois. Gueulant. (Quand on s’imagine chez soi partout, où est-ce ? — Remarque marginale.) Même ton que celle qui, tout à l’heure sur la plage, avait ordonné à son chien Lâche ! Comme une gigantesque communication à l’échelle de la planète et au-delà, mais pas de communiqué. Rien que des phrases dépourvues de sens, à l’exception des ordres que les uns adressent aux autres dans l’entreprise de domination généralisée que constitue l’aventure de l’espèce humaine. Dès lors, parler, c’est comme mourir, les phrases se détruisant dans le moment même de leur énonciation. Tout un système de valeurs fondé sur des approximations, des confusions, des contresens. Une foule de barbarismes qui monopolisent les esprits. Qui pourrais-tu avoir envie de croire ? Qui pourrais-tu avoir envie d’écouter ? Quiconque se trouve au monde est à sa place, mais y a-t-il encore quelque chose à y faire ? À part obéir, c’est-à-dire. À part se contenter d’être ce qu’on nous ordonne de faire. Et puis après tout, qu’importe ? Comment pourrais-tu parvenir à trouver un sens à ta vie quand ta vie, c’est ta life ? Parfois, j’aimerais savoir ce qu’il se passe dans l’esprit de mes contemporains, mais ce n’est pas la peine, je le sais déjà, la carte en est dressée par les médias de masse. Parfaitement claire et précise. Sur la plage, assis au même endroit que quelques jours auparavant, j’ai écrit un poème. Sans me demander s’il était bon ou mauvais. Ce n’est pas la question. Tu ne peux pas déterminer la valeur d’une chose parce que toutes les échelles à l’aune desquelles mesurer cette chose sont cassées, inutilisables, et qu’il te faut donc constamment inventer de nouveaux étalons, de nouvelles unités de mesure. Quand tu écris, tu inventes dans le même temps l’unité de mesure de ce que tu écris. Tu inventes le poème, son échelle et sa valeur. Aussi faut-il ne pas faiblir et remplir d’infinis cahiers avant d’être épuisé. Tu es la source de ta vitalité.

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