15.4.21

Hier, j’ai noté dans ma mémoire un morceau d’une phrase de Proust pour en faire la sorte de maxime que voici : Ce n’est pas le désir d’être célèbre, mais l’habitude d’être laborieux qui nous permet de produire une œuvre, maxime qui est d’une vérité telle que, parfois, le sens semble en échapper, comme si je la trouvais trop simple pour être d’une vérité authentique, comme si elle n’était qu’une sorte de fragment d’une sagesse ancienne dont on ne sait plus trop quel usage faire. Certes, le mot célébrité n’a plus le sens qu’il avait à l’époque de Proust, mais ce n’est pas tant à lui qu’il faut songer qu’à cette habitude d’être laborieux. À quoi il faudrait opposer quoi : la paresse ? Oui, ou la peur que, même en étant laborieux, je ne parvienne à rien, ce qui me renvoie au genre de paradoxes qu’il me semble déjà avoir évoqués et que je n’ai pas envie d’aborder aujourd’hui. Pourquoi pas aujourd’hui ? Parce que pas aujourd’hui. Mais ce n’est pas exact puisque ce journal, s’il ne mérite pas le beau nom d’œuvre, je le tiens malgré tout, et qu’il ne faudrait dès lors pas grand-chose d’autre pour tenir quelque chose de plus, pour ainsi dire, quelque chose à quoi je puisse vouloir adresser ce compliment : « C’est une œuvre. » En attendant, certains jours, il me semble que je ne fais rien avec un certain sens du sublime, sans rien attendre, caressant des rêves un peu idiots, certes, mais qui sont tout de même les miens. Qu’est-ce que serait cette œuvre qui m’obsède d’autant plus qu’elle n’existe pas ? Faut-il, c’est-à-dire, qu’une forme la précède ? Une forme dans laquelle elle n’aurait plus qu’à se couler ensuite ? À quelles conditions pourrait-elle inventer sa propre forme ? Si elle n’inventait pas sa forme, mériterait-elle encore le nom d’œuvre ? Ce matin, cependant que le monde continuait son chemin boiteux entre bêtise et haine, tout en écoutant Alfred Brendel jouer une sonate de Beethoven, je me suis tondu la barbe. J’ai eu l’impression de redécouvrir mon visage. Et c’était un sentiment agréable.