Cheveux blancs : de plus en plus. Pas gris non, vraiment blancs, presque transparents. L’autre jour, j’en ai arraché un, et je l’ai observé, immaculée, sa couleur était semblable à celle de la neige pure. Il était beau. Et pourtant, qu’il me parut laid. De plus en plus de cheveux blancs, mais je peux encore les compter (ce que je ne fais pas). Est-ce que je serai vraiment vieux quand je ne pourrai plus compter mes cheveux blancs, seuls mes cheveux bruns ? Ou quand je n’aurai plus du tout de cheveux bruns ? Je préfère prendre les devants et me voir comme je suis : décati. Plutôt que de m’étonner trop tard que je suis devenu vieux. Avoir un choc (« prendre un coup de vieux ») à 75 ans parce que la personne à qui je demanderai quel âge je fais me répondra : 75 ans. (Une histoire vraie.) Sauf que moi non, je ne demande pas aux gens quel âge je fais, quel âge ils me donnent, rien de tout cela, je suis beaucoup trop imbu de moi-même pour m’en remettre aux autres, leur faire confiance à mon sujet. J’aimerais pouvoir signer mon propre certificat de décès. Tout comme l’idée de faire don de mes organes en cas de mort prématurée me semble une aberration. Aussi aberrant, en effet, que de supposer que toutes les vies sont dignes d’être vécues, valent la peine de l’être. En soi, la vie n’a aucune dignité. C’est un processus qui prend un certain temps et puis s’arrête. Se demande-t-on de la vie d’un champignon si elle est digne ? Ce n’est pas la vie en soi qui est digne ou pas, c’est ce que l’on en fait, ce en quoi on la transforme. (Dignité de la vie du champignon : donner la mort.) Il faut s’aimer assez pour avoir le courage de se haïr. Parce qu’il y a une partie de soi, plus ou moins grande, plus ou moins importante, qui doit périr nécessairement, qui doit périr pour sauver l’individu de lui-même. C’est peut-être cela, ce processus de destruction salvatrice, qu’on peut appeler dignité. Tu as le pouvoir de changer alors pourquoi te contenter d’être toi-même ? Même les grands esprits ont succombé aux séductions de l’être, d’où l’idée formulée par Nietzsche de devenir ce que l’on est, philosophie de petit-bourgeois, ce que Nietzsche aura toujours été, un petit-bourgeois, mais génial ; comme s’il suffisait de s’épanouir. À force de s’épanouir, on devient obèse, voilà ce qu’il arrive. Je suis allé courir ce matin. Et la foule absurde des badauds du dimanche accompagnés de leurs chiens hideux ne rendit pas moins futiles mes transpirations en vue de survivre encore un peu à la profusion de mes cheveux blancs.

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