À intervalles réguliers dans l’immeuble, quelqu’un, j’ignore qui, quelqu’un met un coup de perceuse dans un mur. Puis s’arrête. Durant des heures, parfois. Parfois, pendant quelques secondes à peine. Il y a bien une note manuscrite et maladroite qui se trouve affichée dans le hall d’entrée pour avertir les résidents qu’une certaine Mme X. effectue des travaux chez elle, mais je n’y crois pas. Ce n’est pas un mensonge, ce n’est pas ce que je veux dire. Mais ce n’est pas si simple, non, pas si simple. Pour dire toute la vérité, je crois que cette manière de perce-mur fait partie d’une entreprise plus vaste, oh, peut-être pas un complot conscient, non, ce n’est pas ce que je veux dire, non, je parle de quelque chose de plus subtil et donc de plus pervers que cela : une entreprise de démoralisation générale, une entreprise de destruction globale du monde. Une forme de saccage, oui, puisqu’il faut bien appeler les choses par leur nom, « la mort » la mort. Chaque coup de perceuse est comme une pointe qu’on enfonce dans la chair de l’existence et de son effort pour se maintenir en un état qui ne soit pas trop absurde, pas trop veule. Et, chaque coup de perceuse lui-même n’est autre que l’image microscopique à l’échelle de l’immeuble de ce qu’il se passe à l’échelle macroscopique de la planète : pour préserver les intérêts d’une minorité, on ruine la majorité de la population, sans le moindre scrupule, au contraire, poussant même l’abjection jusqu’à trouver des arguments moraux en faveur d’une telle entreprise de destruction. Rénover son intérieur et détruire tout ce qu’il se passe à l’extérieur, — les autres intérieurs compris. Chaque fois, les coups de perceuse me font sursauter parce que leur éloignement l’un de l’autre dans le temps est si aléatoire que je ne parviens pas à oublier leur existence, ou à ne pas l’oublier, à m’y faire. Ils représentent une menace permanente, invisible, incompréhensible malgré les apparences banales du phénomène. Supplice du bricolage. Supplice du marchandage. Supplice de la morale. Les parois de béton, contreplaqué, aggloméré, je ne sais, ces parois transmettent si bien les vibrations qu’on ignore où s’en trouve la source, laquelle, dès lors, semble partout et nulle part à la fois, la circonférence du foret épousant sans distance celle du monde. Le ciel s’est voilé au fur et à mesure que la journée avançait. Je consulte la météo : demain il pleuvra, sans doute.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.