Dans un entretien accordé à un journal, un savant explique sans rire qu’il faut se préparer à déménager sur Mars parce que, dans quatre milliards d’années, la terre sera devenue invivable. Dans quatre milliards d’années— comme si ce genre d’énoncés pouvait avoir le moindre sens. En réalité, quand on prend le temps de les observer autrement qu’on ne le fait au quotidien, assistant au défilé vertigineux des vérités découvertes ou simplement assénées jour après jour, on s’aperçoit que chaque vérité, prise individuellement, a de grandes chances d’être vraie, en effet, mais que, quand on les ajoute les unes aux autres, elles ne veulent plus rien dire du tout. Ni ensemble ni séparément. Une experte va dire à juste titre qu’il faut en finir avec les émissions de CO2, un autre qu’il faut envisager de quitter la planète pour aller en habiter une autre, une troisième qu’il faut respecter les croyances de chacun pour le bien de tous, et ainsi de suite. Or, si chacune de ces affirmations, considérée du point de vue de ce qu’elle affirme, est vraie, considérée du point de vue de l’espèce de système cohérent qu’elle devrait former avec les autres vérités, elle est dépourvue de sens, se fane en dégageant ce parfum trop fort des fleurs qui pourrissent. Des vies sont consacrées à la recherche de la vérité, et tout ce qu’on découvre, ce sont des vérités partielles et si fragiles qu’elles meurent dès qu’on essaie de les accorder avec les autres vérités. Ce n’est pas que la vérité n’existe pas, c’est qu’il y a trop de vérités et, par suite, pas assez. On se représente la vérité comme le chiffre du mystère que l’on s’efforce de percer, sauf que, multipliées à l’infini, les vérités ne font que rendre les choses plus confuses encore. Le progrès n’allant pas ainsi vers plus de clarté, une grande lumière qui se ferait sur les choses et les êtres, un grand jour, mais vers une obscurité toujours plus épaisse dont il s’avère impossible de sortir, l’autre planète n’étant jamais qu’un fantasme qu’une fois habité, il faudra quitter pour un autre, et ainsi de suite. Ce matin, pendant que Nelly et Daphné étaient à la plage, je suis allé me promener un moment, regardant les fleurs que je n’avais pas reconnues sur le bord de l’autoroute et qui s’offraient à mes regards sans retenue, une picris ou une autre de la famille des Asteraceae, et j’ai composé un poème en marchant. Parvenu au bout du chemin, j’ai noté le poème et puis je l’ai rebroussé pour rentrer chez moi.

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