6.5.21

Héritage probable de la plus ancienne préhistoire, quand la survie d’une tribu de nomades dépendait de l’adaptation constante à des conditions changeantes, les êtres humains ne supportent pas la liberté. Les modernes, que nous sommes, s’ils ne sont pas assez forts pour se donner à eux-mêmes les règles qui leur permettent d’exister et de coexister de façon suffisamment raisonnable, s’ils ne sont pas capables de limiter d’eux-mêmes l’étendue et l’exercice de leur liberté pour redécouvrir le préhistorique enfoui dans leur modernité, ou bien se consomment dans une course puérile à la jouissance qui risque de conduire à terme à l’autodestruction, ou bien se donnent des règles de vies contraignantes jusqu’à l’absurdité (interdits alimentaires, ascèses, contraintes vestimentaires, régulation obsessionnelle de la sexualité, etc.), qu’elles s’incarnent ou non dans la figure d’une divinité transcendante. Couru une heure ce matin, sous un ciel bleu pur d’une délicieuse perfection. Simplement pour être là, traverser des espaces familiers qui ne sont pas aussi laids qu’on pourrait parfois avoir tendance à le penser, sentir les parfums du printemps que les plantes, les arbres exhalent, longer la mer. Explosion de vie. Traversant le parc, je regarde la colline du Roucas Blanc en face de moi et pense que cette ligne d’horizon vaut toutes les skylines du monde. Un peu plus tard, mais à peine, je traverserai la moitié de la ville pour acheter d’occasion La guerre et la paix de Tolstoï dans le volume unique de la Pléiade. C’est le livre que j’étais en train de lire quand Daphné est née, il y a un peu plus de cinq ans, et depuis, malgré diverses tentatives plus ou moins avancées, je ne suis jamais parvenu au bout. La faute aux deux tomes de l’édition de poche ? Je ne sais pas. Qu’importe ? Contrairement aux torchons avec lesquels on essuie d’un geste maladroit la pellicule d’ennui qui recouvre le temps qui passe, les grands livres ne meurent pas ; il n’est jamais trop tard pour les lire. (Sur cette sentence toute morale, je me tais.)