Les gens parlent trop. Tellement que moi-même, je trouve que je parle trop. Peut-être est-ce par réaction que j’ai ce sentiment. Mais non, je sais que je parle vraiment trop. Je m’en rends compte dans mes relations avec Daphné et Nelly : nous parlons trop, nous nous saoulons de paroles. C’est assommant. Non qu’il faille en la matière préférer les silences zen à la Cage, mais une plus juste économie de la langue devrait s’imposer. Aller aux choses mêmes. Et face à la perspective de longues descriptions, d’interminables explications, d’interprétations tautologiques, couper court. Les gens parlent trop, s’écoutent trop parler, déroulent le moindre de leurs faits et gestes sur les immenses avenues du bavardage. J’aime les choses bien faites, pas les interminables discours pour justifier l’existence d’une œuvre ratée ou à peu près achevée. Plutôt que d’adresser un document clair et précis du déroulé de quelque événement sans grande importance, on convoque une réunion où l’on monopolise la parole en prétextant la nécessité du dialogue en personne. Cet excès de parole est certes lié aux mutations du capitalisme tardif : il en faut des ressources pour vendre un sandwich dégueulasse, il en faut des mots pour vendre une voiture pourrie, il en faut des mensonges pour convaincre les gens de se ruiner dans l’achat d’une maison standardisée dans un trou paumé. Mais le capitalisme se mue en éthique et l’image du monde qu’il fabrique s’ancre si profondément dans l’esprit des gens qu’ils s’imaginent que c’est ça, la vie. Qu’être en vie, c’est raconter des mensonges sur des sujets dépourvus du moindre intérêt. Mais qu’est-ce que tu peux faire, toi, avec ton petit langage, contre l’immense machine à décérébrer de l’american way of life ? Car, si tu parles, on ne t’entend pas, et si tu te tais, tu laisses les autres parler. Qu’est-ce que tu peux faire sinon montrer quelque chose du doigt qui n’existe pas et te contenter de dire : voilà, c’est ça, la vie. Regardant Daphné à table, ses yeux face à la lumière du jour qui venait de la baie vitrée, j’ai écrit ce petit poème :
la splendeur (rouge)
de ton iris (vert)
immacule l’univers :
tout est rajeuni.

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