26.5.22

Dehors rodéo nocturne. Des humanoïdes comme moi ou à peu près font crisser les pneus de leur véhicule au beau milieu de la nuit. Ici, on prononce peneu et moi, je ne dors pas. Non qu’ils me réveillent, non, c’est comme ça. Je pense aux humanoïdes et me demande : comment exister autrement qu’en déchaînant cette rage barrage qui s’exprime aussi dans les feux d’artifice, le trafic, la prière, et que sais-je encore, tout ce qui permet de résister un peu au craquage ? Il vaut mieux n’importe quoi plutôt que rien, on le sait bien. Et tout ne se ressemble-t-il pas terriblement vu d’ici, d’où je ne regarde pas, n’écoute même pas, ne fais rien — qu’entendre ? Hier rodéo diurne. Je les ai vues, les mères de famille projeter leur véhicule sur le moindre espace libre d’où jeter ensuite leur enfant en retard pour l’école catholique. Tout se ressemble cruellement quand on sait comment regarder. Tout le monde colonise l’espace dont il a besoin pour exister. Survivre. C’est ainsi que c’est fait, l’humanité. Ça s’étend. Ne supporte pas le vide. Pourtant, il y en a partout. Mais on ne croit pas les esprits, on croit les devins. On croit ce qu’on touche. Les charlatans (qui bavarde). Illusion. C’est le 19 septembre 1648, je viens de vérifier, que les frères Pascal, réalisant une anodine ascension du Puy de Dôme, démontrèrent que le vide ne l’était pas, vide, inexistant, mais réel. Ce n’est pas la nature qui en a horreur, mais les gens. Peuchères. Je n’ai rien lu d’autre pour l’instant de son Histoire de la Révolution française, mais je me souviens qu’au début Michelet raconte qu’à la fin de son enseignement, en été, pensant à la Révolution, il va au Champ-de-Mars, le seul monument que celle-ci ait laissé d’elle-même, et se rend compte de ceci : que la Révolution a pour monument « le vide ». Je m’en souviens parce que, ayant lu cela, je m’étais dit qu’il fallait que j’en parle à R., qui a écrit un livre sur ça, que je n’ai pas lu non plus, le vide de la révolution, ou à peu près, et puis que je me suis retenu, me disant qu’il le savait sans doute déjà, et que j’étais suffisamment bête pour ne pas, en plus, le montrer. Dehors, un mâle sans rut crie à intervalles réguliers. J’ai peur, mais je fais semblant de ne pas. Après tout, ne faisons-nous pas partie de la même humanité ? Vapeurs de joint qui me chatouillent le nez. Je me lève pour aérer. J’ai envie de bouger, mais ne sais où aller. Ayant eu l’impression de trouver, plus tard, dans mon carnet de poche, je finirai par écrire : « Jeudi de l’Ascension Cloître de l’Abbaye de Silvacane sans autre émotion me dis-je qu’une paix juste et ordinaire trouvant cette expression étrange je constate cependant qu’elle est exacte. »