Ne plus rien penser, serait-ce la seule façon de survivre ? Trop facile de se tenir en retrait, dans la distance, dans une position de surplomb, trop commode ainsi juché de juger de loin qui a les mains sales au regard des miennes de mains qui de ne rien faire sont immaculées. Mais être dedans, ou avec, dans la présence, l’époque, les êtres tels qu’ils sont, n’est-ce pas l’assurance d’étouffer ou de se noyer dans un océan de non-sens ? Que faire là-contre ? Précisément rien. Ne plus penser, ne plus avoir d’idées, ou des intuitions bizarres seulement, se promener dans des contrées qui n’existent pas, arpenter des territoires inexistants. Qu’ai-je contre le monde tel qu’il est ? Rien. Mais absolument rien. Parce que le monde n’est pas comme il est : il est comme les gens sont. Aussi, tout ce qui est réel doit-il être frappé de doute, interrogé sévèrement, scruté sans complaisance. Tout ce qui existe est suspect, discutable, réfutable, qui est venu au monde sur la montagne en or des cadavres de tous les possibles qui ne seront jamais devenus réels, de tous ceux qui ne le deviendront jamais. J’arrête. Rien de tout ceci ne va nulle part. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être suis-je un bon à rien. Peut-être suis-je un imposteur. Mais de quoi ? Quel bénéfice tiré-je de mon imposture ? Ridicule supposition. Je suis comme je suis et tâche de l’être de moins en moins. Hier, au début de la nuit, feu d’artifice. Dans le périmètre de l’arrondissement, j’évalue le nombre moyen de tirs à plus d’un par semaine, disons entre un virgule deux et un virgule cinq par semaine. Celui-là était tiré depuis la plage, mais il en part de n’importe où. On retrouve des conteneurs à ordures brûlés le lendemain matin. C’est joli, les feux d’artifice. Ça fait briller les yeux des enfants. Mais qui en tire par bonheur ? N’est-ce pas l’inverse que leur tir exprime ? L’impuissance devant le réel, l’impuissance devant l’existence, l’impuissance tout court. Je ne sais pas quoi penser. Je ferais mieux de ne rien penser. J’écoute Samson François jouer les Polonaises de Chopin. Et me dis que, si le progrès est haïssable (dehors, les éternels jardiniers barbares font vrombir leurs mécaniques à saccager l’univers), il permet toutefois d’écouter les morts.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.