Dix mars deux mille vingt-quatre.

Au lieu de Salon du Barbecue, sur le bus, je lis Salon de la Barbarie. Et, proximité paronymique relative aidant, dans un premier temps, cela ne me choque pas le moins du monde. Ce n’est qu’ensuite, le bus passant devant moi, que je prends conscience de ma méprise. Alors, je ne déduis pas, non, que je considère que la pratique du barbecue est barbare, je commence plutôt à imaginer ce que le visiteur curieux que je suis pourrait bien trouver audit Salon de la Barbarie si jamais l’envie de se promener dans ses allées le prenait. Et énumère, inter alia : diverses méthodes révolutionnaires de stérilisation des humains domestiques, nouvelles technologies de traçace (puce, gps, code-barre, tatouage, etc.) permettant de géolocaliser ses esclaves, dernières avancées dans le domaine du compostage humain, nouveautés culinaires en anthropophagie gastronomique (la chair humaine s’avérant en effet une excellente alternative à la consommation de viandes animales les plus variées — selon divers témoignages relatifs à la question, la chair humaine aurait le goût du bœuf, du veau, du porc, du cerf, et plus probablement de l’humain — pour qui se refuse encore à devenir végane), conseils d’avocats spécialisés afin de bien rédiger le contrat d’union autorisant à consommer les restes de son conjoint après son décès (dans certains pays, expliquerait l’un d’entre eux, un jeune qui perce dans le milieu cannibaliste, on peut disposer de ce dernier dès avant son décès, il suffit d’en stipuler les conditions de façon formelle, mais la législation française est encore très conservatrice en la matière), présentation par la productrice, le metteur en scène et l’ensemble de l’équipe du spectacle de la prochaine adaptation des 120 journées de Sodome de Sade en comédie musicale (« Tout sera live, préciserait la productrice, on y tient beaucoup avec Kamel », Kamel étant le chorégraphe), et enfin projection en avant-première d’une comédie hilarante où, en déportation à Auschwitz, un père de famille juif fait croire à son fils que tout ceci n’est en réalité qu’un jeu organisé pour fêter son anniversaire. Que tout cela soit bien raisonnable ou non, je ne m’en soucie guère, et laisse mon imagination aller en liberté. En ce moment, je souffle beaucoup trop, je m’en rends compte, comme si sans fin répétées la vue et la pensée qu’elle m’inspire de mes semblables m’emplissaient d’un air mauvais que je ne pouvais expirer qu’ainsi, en soufflant, les deux joues gonflées ainsi que cette partie du visage qui se situe entre le nez et la lèvre supérieure mais dont j’ignore le nom, le tout gonflé d’air donc qu’il me faut ensuite expirer plus ou moins bruyamment pour me défaire des sentiments par autrui inspirés. Imaginer des horreurs, un tel usage de mes facultés me semble-t-il en mesure de soigner ce blasé que je suis ? Peut-être. Et en tout cas, me dis-je, cela ne peut pas me faire de mal. Ainsi passent mes pensées négatives, tout le mal que je pourrais être enclin à dire de telle ou tel et dont je sais, parfaitement je le sais, que tout ce mal que je pourrais dire, ce n’est jamais qu’à moi, à moi et à moi seul, qu’il pourrait en faire, du mal. Aussi, ne le retiens-je pas mais le convertis-je en autre chose que lui-même, et la part de langage qu’il aurait occupé si je m’étais adonné à lui, j’en fais autre chose, des histoires bizarres, plus ou moins drôles. La vérité, c’est qu’elles me font rire, moi, ces horreurs, mourir de rire, oui.