Parfois j’ai l’impression que la voix qui parle dans ma tête quand je me parle à moi-même se met à parodier mon journal. C’est très déstabilisant parce que je ne sais pas si cela veut dire que je suis effectivement en train de commencer à écrire mon journal, et s’il faut alors que je cesse séance tenante de faire ce que je suis en train de faire pour me mettre à écrire mon journal, ou bien si cela signifie que la voix qui parle dans ma tête quand je me parle à moi-même se moque de moi parce que je ne suis pas un écrivain de première catégorie et si elle n’est pas en fait en train de sous-entendre que, si j’étais un écrivain de première catégorie, je ne perdrais pas mon temps à écrire mon journal pour compenser le fait que personne ne veut publier les livres que j’écris ni même en parler quand je parviens tout de même à en faire publier un, ce qui fait que je n’ai aucun succès, non, si j’étais un écrivain de premier catégorie, je répondrais aux questions que Yannick Haenel pose à des écrivains importants et des écrivaines importantes dans sa revue pour écrivaines importantes et écrivains importants, des questions importantes comme « Écrivez-vous des scènes de sexe ? », parce qu’il est vraiment nécessaire de lire la réponse de Christine Angot, en plus de lire les livres de Christine Angot, pour savoir si elle écrit des scènes de sexe, oui ou non. Mais je suppose que la vraie question, entre gens importants on se comprend et on comprend le vrai sens des questions importantes, c’est de savoir comment, c’est la manière, c’est l’art, la vraie question importante. Bref, si la voix qui parle dans ma tête quand je me parle à moi-même se moque de moi parce que je ne suis pas un écrivain de première catégorie, cela ne pose-t-il pas une autre question : À qui est la voix qui parle dans ma tête quand je me parle à moi-même ? Est-ce ma voix ? Est-ce la voix de quelqu’un qui imite ma voix ? Mais si c’est la voix de quelqu’un qui imite ma voix, de qui est-ce la voix ? Et comment fait-il, oui, comment fait-elle, pour s’immiscer dans ce que j’ai de plus intime, dans l’interior intimo meo, oui, comment fait-elle ou comment fait-il pour s’introduire en mon for intérieur et, non content de se moquer de moi parce que je ne suis pas un écrivain de premier choix, imiter ma voix, tourner en dérision tout ce en quoi je crois, tout ce que j’aime, tout ce à quoi j’aspire ? Comment est-ce possible ? Peut-être que ce n’est pas possible, peut-être que c’est moi qui invente tout cela pour m’aider à supporter le fait que je ne suis pas un écrivain de première catégorie, ni même de deuxième, tout juste de quatrième, et encore, sans doute de cinquième, quoique je ne sache pas combien il y a de catégories, si je savais combien il y a de catégories d’écrivains, je me classerais directement dans la dernière de ces catégories, sans aucune hésitation, c’est certain, mais si c’était moi, tout de même, n’en profiterais-je pas pour me faire passer un message au lieu de simplement me moquer de moi ? Quand j’ai entendu la voix dans ma tête parler comme si elle était en train d’écrire mon journal, je me suis mis à l’écouter, me disant : Tiens, je suis en train de me parler comme si j’étais en train d’écrire mon journal, est-ce que je dois me lever pour écrire ce que la voix dans ma tête est en train de dire parce qu’elle est en train de me dicter mon journal ou est-ce que je dois écouter jusqu’au bout ce qu’elle a à me dire et l’écrire après ? Or, me posant la question, j’ai perdu le fil de ce que disait la voix, j’avais l’impression qu’elle continuait de parler quand même, toujours sur le ton de qui est en train d’écrire mon journal, mais je ne comprenais plus rien de ce qu’elle me disait et, au bout d’un certain temps, j’ai eu l’impression qu’elle ne disait plus rien tout, mais qu’elle continuait à prendre le ton de qui écrit mon journal, mais sans paroles, se contentant à la place des mots, à la place des phrases, de faire « Gna gna gna gna gna gna ». Malgré la voix qui parlait dans ma tête, ou qui faisait semblant de parler tout en parodiant qui écrit mon journal, je me suis senti très triste, abattu, blessé par tant d’indifférence et de méchanceté. Est-ce de ma faute, à moi, si je ne suis pas un écrivain de première catégorie, est-ce de ma faute ? Je fais ce que je peux, je fais ce que j’aime et, si personne n’aime ce que je fais, que moi, est-ce de ma faute, à moi ? C’était assez pathétique, je dois le confesser, mais je crois que cela a au moins eu le mérite de faire taire la voix qui faisait « Gna gna gna gna gna gna gna ». J’ai tendu l’oreille vers mon interior intimo meo, et je n’ai plus rien entendu, que le silence, ou le sifflement des acouphènes dans mes oreilles. Je me suis senti soulagé — c’est vrai, ce n’est pas très agréable d’être confronté à la réalité —, mais un peu seul aussi, tout à coup. Et, au bout d’un petit moment, je me suis demandé si ce n’était tout de même pas mieux quand la voix me parlait. Après tout, elle me tenait compagnie, non ? J’ai écouté, aussi attentivement que possible, mais rien, je n’entendais plus rien. Alors, je me suis dit que, peut-être, je pourrais essayer de lui parler. Je me suis demandé comment m’y prendre. J’ai réfléchi quelques instants. Et puis, je me suis dit, eh bien, le plus simplement du monde. Et alors j’ai dit à l’attention de la voix dans ma tête, pour qu’elle me réponde : Hé oh ! Y a quelqu’un ? Mais personne n’a répondu. J’ai attendu quelques instants et j’ai répété la question — Hé oh ! Y a quelqu’un ? —, mais manifestement il n’y avait plus personne, non, je n’ai entendu que le son de l’écho de ma propre voix dans mon cerveau. Je me suis senti encore plus triste qu’avant parce que, à présent, en plus de n’être pas un écrivain de première catégorie, j’étais tout seul dans ma tête avec cette idée déprimante que je n’étais pas un écrivain de première catégorie. Mais je n’avais pas envie de me laisser abattre, non, je me suis dit de ne pas me lamenter : la prochaine fois que la voix reviendra me parler, je tâcherai de faire preuve de plus d’hospitalité.