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Pas nécessairement envie d’écrire aujourd’hui. Pas nécessairement envie de faire quoi que ce soit non plus. En tout cas, rien de spectaculaire. Marcher. Dormir, et puis. Et puis, c’est tout. Ce n’est pas qu’écrire se heurte à l’incommunicabilité — je ne crois pas à l’incommunicabilité, on se résout à l’incommunicabilité par lassitude, par mollesse, par paresse, il arrive à tout le monde d’être fatigué, je ne dis pas le contraire, de n’avoir envie de rien faire, mais ce n’est pas une attitude, c’est une facilité, on se laisse aller, et il n’est pas mauvais de se laisser aller, de temps à autre, mais ce n’est pas une règle de vie —, c’est que parler s’épuise, parler épuise, écrire est une forme de l’épuisement, comme partir d’une masse énorme — la totalité de ce qui existe — pour parvenir à composer une phrase simple, compréhensible, juste, — qui soit vraiment là, comme un corps, comme une apparition, comme la vie. Aussi, quand je me trouve ici — où que je me trouve : ici, c’est partout —, devant la perspective d’écrire, parfois, il se trouve que cette perspective me semble une lacune : si j’ai besoin de dire quelque chose, n’est-ce pas qu’il y a un manque, un défaut, une faille, un vide, un pas-assez ? Mais si j’écris, ce que j’écrirai ne viendra-t-il pas en plus, en trop ? Faut-il donc que vivre, ce soit toujours passer du manque à l’excès ? On parle déjà tellement, tellement que cela en devient incompréhensible. Et, de fait, je ne comprends rien. Ai-je envie de comprendre ? De quoi comprendre ? Qu’est-ce que serait que le juste-assez ? Pourquoi consacrons-nous si peu d’efforts à la recherche d’une réponse à cette question, à la recherche de cet équilibre, de cette perfection instable, toujours en train de devenir, de devenir meilleure ? Tout le monde dit plus, veut plus, promet plus, alors qu’il faudrait moins, ne rien promettre, ne rien désirer qu’on n’ait pas compris et, afin de comprendre, ouvrir grand les oreilles pour écouter la réalité. Mais si tout le monde parle en même temps comment entendrai-je quelque chose ? Cela ne se peut pas, non. Alors quoi ? Alors rien, è sempre la stessa cosa. (Quel miracle, ne trouves-tu pas ? que cette ultime phrase me soit venue en italien ; — peut-être que, après tout, en effet, ça pense.) PS. — Après un mois d’une douce abstinence, j’ai recommencé à prendre des photographies. Trois : deux aujourd’hui, une première samedi.