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Passage de plus qui m’a dérangé dans le livre d’Angier sur Sebald : celui où elle évoque le fait que rien ne témoigne du passage de ce dernier dans la bonne ville de Sonthofen (pas la moindre plaque). Parce que je vois là comme une sorte de contradiction : comme si l’on attendait des auteurs qu’ils règlent des comptes avec leur passé et qu’on s’étonnait  ensuite que les victimes de ces règlements de compte en conçoivent quelque sentiment désagréable et qu’elles entendent d’une façon ou d’une autre réparer ce tort qu’elles estiment qu’on leur a fait. D’autant que ce qu’elle signale de Wertach, qui a transformé Sebald en attraction touristique, notamment avec son Sebald-Weg qui fait de la descente aux enfers narrés dans le chapitre « Il Ritorno in Patria » de Vertiges une petite promenade digestive, n’est guère réjouissant. La gloire littéraire ressemble ainsi à un simple malentendu entre des parties (auteurs, critiques, lecteurs, victimes collatérales) qui n’attendent pas les mêmes choses d’un livre et se retrouvent avec sur les bras un objet dont ils ne savent pas quoi faire. Ainsi de cet autre passage où Angier évoque les rapports compliqués de Sebald à sa jeunesse sonthofenienne, enfance pauvre qu’il aura cherché à fuir, et oppose le hlm où il vécut dès l’âge de huit ans et demi jusqu’à la fin de l’adolescence à sa belle maison de Norfolk. Comme si, au fond, l’un des motifs autobiographiques de la gloire de Sebald était un désir d’embourgeoisement. Et pourquoi pas, après tout ? Ce qui me dérange, en fait, ce n’est ni la démarche de Sebald ni les recherches d’Angier, qui sont précises, éclairantes et semblent menées avec une grande rigueur, c’est ce à quoi tout élément de la culture se trouve réduit. À la fin, tout se verra humilié. Et je crois qu’il faut écrire avec une conscience très claire de cette vérité, si déprimante soit-elle. Il faut n’avoir aucune illusion. En un sens, il faut être totalement désespéré pour écrire avec honnêteté, ne succomber ni aux prestiges du succès (pour ma part, cela ne risque pas de m’arriver) ni aux vertiges de la postérité. À la fin, tout se verra humilié. Qu’est-ce qui, compte tenu de cette détestable vérité, vaudra encore la peine d’être écrit ? D’une saison ou d’une autre, la littérature jouit d’une importance infinitésimale. Qu’est-ce qu’un livre, en effet, rapporté aux milliards de dollars levés dans une sorte de furie instantanée (aussitôt consommés, aussitôt oubliés) par des candidats à une élection présidentielle ? Car, telle semble en effet la loi de nos sociétés : aussitôt consommé, aussitôt oublié. Aussi, ne faut-il sans doute pas prendre la peine d’écrire contre l’oubli, mais dans l’oubli (du monde social, entres autres choses). L’écriture, contrairement à « la littérature », n’a que faire des triomphes, elle s’adresse aux êtres humains dans cette invincible solitude de l’existence qu’elle leur apprend à comprendre, à supporter, à aimer.