Un monsieur noir se moque d’une petite femme asiatique et fait rire au mot de « miniature » qu’il emploie à son endroit la vieille dame blanche qui, canne à la main, l’accompagne. Après quoi, malgré le dédain réprobateur que je manifeste, il parle à son chien. C’était ce matin au Parc Montsouris, où je suis retourné me promener après des mois, je crois, sans y être allé, et cette petite saynète, à vrai dire, je ne sais pas si sa morale était rassurante ou bien terrifiante : quelles que soient leur origine ethnique, leur culture, leur « race », comme il paraît que d’aucuns le disent encore, peut-être pour les rabaisser au rang du chien, les êtres humains sont d’une bêtise insondable et, par tous les moyens, quelles que soient les circonstances, dès qu’ils en auront la possibilité, ils trouveront quelqu’un à humilier. Je ne sais pas si c’est rassurant ou bien terrifiant parce que, en un sens, cela signifie que nous sommes tous égaux, mais que, en un autre sens, si nous le sommes, c’est en ce qu’il y a de plus bas, de plus haineux, de plus méchant. Quand le bien, sans doute, n’est pas à notre portée, ou alors par hasard. Et, c’est peut-être ce que je veux dire en racontant cette histoire presque insignifiante (mais, justement, qu’elle se trouve au seuil de la signifiance me semble intéressant, c’est là que la couche de la civilisation est la plus fine et que ce qu’il y a de plus primaire chez les êtres humains est susceptible de trouver à s’exprimer), on aurait tort de s’imaginer que, parce qu’on a fait des études, parce qu’on vote comme il faut aux élections, parce qu’on écrit des livres, parce qu’on vit à Paris, l’on échappe soi-même à cette espèce de loi universelle de la nature humaine : nous sommes d’horribles monstres qui n’attendons que le moment opportun pour passer à l’acte et massacrer qui a le malheur de nous ressembler un peu moins que les autres (et ce, quel que soit le critère de ressemblance pour lequel on opte : la religion, la couleur de la peau, la taille, et caetera, qu’importe). Et peut-être ce moment n’arrivera-t-il jamais, on dira alors de nous que nous fûmes sans histoires. Mais cette condition (« être sans histoires ») n’a rien d’une quelconque propriété essentielle : tout le monde est sans histoires, raison pour laquelle les gens ont toujours l’air un peu benêt quand ils découvrent que leur voisin est en réalité un meurtrier. Voici ce qui les étonne : pourquoi lui et pas moi ? Quand on dit d’un assassin que c’était un homme sans histoires, on ne cherche pas à en dresser quelque gentil portrait, afin de lui trouver des circonstances atténuantes, au contraire, on se venge de lui : en vérité, affirme-t-on, il n’a rien de plus que moi, il a simplement eu l’occasion, lui. Après lui avoir jeté mon œil le plus mauvais — mais je portais des lunettes de soleil, c’est vrai — et hoché la tête de mon mépris le plus hautain, quand je l’ai entendu parler à son chien, par précaution, j’ai tout de même continué de regarder par-dessus mon épaule tout en tâchant de prendre au plus vite mes distances avec lui : des fois que, l’occasion faisant réellement l’assassin, il décide de lancer son molosse sur moi pour me faire payer au prix fort mon outrecuidance moraliste et mon petit air supérieur. La coureuse asiatique, poursuivant son chemin sans se soucier de personne, n’avait quant à elle sans doute rien entendu de l’horreur banale qui hante les dimanches matins parisiens : tant mieux, elle pourrait se laisser accroire quelque temps encore que l’espèce humaine ne penche pas le long d’une pente assassine irrésistiblement vers le mal.