Brouillard sur l’Autoroute du Soleil, mais à l’envers. « La route qui monte, dit-on qu’Héraclite d’Éphèse aurait écrit, est la même que celle qui descend. » Quelquefois, il m’arrive de me demander comment je fais pour être comme les autres, mais je ne sais pas si c’est une bonne idée. Et puis, le suis-je seulement ? Voilà qui ne fait aucun doute, et les aires d’autoroute sont là pour me le rappeler. Fast-food géant, temple du gasoil, sandwichs vite avalés, intimité minimale, masses agglutinées, c’est vrai que nous ne sommes que du bétail, oui, c’est vrai, mais nous payons pour cela. (J’ai écrit « détail » avant de me corriger, ce qui n’en est pas un.) Je n’ai pas envie d’être différent des autres, en tout cas, pas au sens où l’entendent les maîtres et possesseurs de véhicules de luxe, non, car il est bon de savoir que l’on ne vaut pas mieux qu’un autre, qu’à de multiples égards (les plus nombreux et les plus importants, en vérité), nous sommes tous identiques ou quasi. Tout ce que je puis faire, c’est rechercher cet écart, infime, où se joue le destin du monde (clinamen). Dans mon journal, la vie et l’art ne se confondent pas, ils ne font pas un non plus, non, je vois bien les différences, je fais bien les distinctions, il est bon de voir les différences, il est bon de faire des distinctions, je vois aussi tout ce qui passe de l’un à l’autre. Circulations. Des livres que j’avais emportés avec moi pour les lire, je n’en ai ouvert aucun. Il faut dire que le paysage était sublime et le confort pas optimal (froid dans l’appartement). Aussi, ai-je préféré marcher dans les collines. Et raconter n’importe quoi. Est-ce que je raconte n’importe quoi ? Je ne sais pas. Qu’est-ce que raconter quelque chose ? Je ne sais pas : écrire des romans pour les supermarchés ? Cela, quand même je m’y essaierais, je n’y parviendrais pas. Écrire, ce n’est pas un savoir-faire, contrairement à ce que tout le monde affirme pour sécuriser le marché, c’est un état d’esprit, une manière de voir le monde, une façon de tâcher d’y vivre. Si écrire était une technique, il y a bien longtemps qu’on n’écrirait plus. Et peut-être, ne plus écrire, oui, peut-être, cela vaudrait-il mieux. Pour les autres, en tout cas. J’aime la tournure continue de ce journal. Voici ce qu’il dit : si la mort ne devait pas m’arrêter, je n’arrêterais jamais d’écrire. Et je crois que je n’ai jamais fait que cela : écrire, — toute ma vie est là. 1136417 signes contient ce fichier commencé le 27.3.24, me dit la machine, ces signes inclus (j’écris donc aussi à rebours).