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Questions de forme = questions de fond. Trente-deuxième jour sans boire d’alcool. Le soleil qui tape sur la vitre de la fenêtre m’empêche d’écrire. J’essaie de me réfugier derrière le rideau avant d’y renoncer. Alors, dans ce rayon du soleil, je ferme les yeux, croise la main droite sur la main gauche et de même à l’inverse, demeure immobile plusieurs minutes, sans rien faire d’autre qu’être là, dans ce rayon du soleil. Au bout d’un certain temps, j’ouvre de nouveau les yeux, écris quelques lignes, puis les ferme encore, fais craquer les articulations de mes doigts sans que la clôture de mes yeux ni le craquement de mes doigts n’aient un quelconque rapport l’un avec l’autre. Pourquoi fais-je ce rapprochement comme si je pensais que l’une et l’autre étaient liés ? J’ouvre les yeux. La sirène d’un imbécile véhicule vient de déchirer le voile souple du silence. Ensuite, c’est le moteur à explosion d’un motocyclette. Je referme les yeux. Croise les doigts. Ouvre. Par la grâce de l’éclaircie (le ciel est clair aujourd’hui, on voit loin quand Paris laisse entrevoir un semblant d’horizon, au-delà de la grue jaune au-dessus du palais italien, la coupole blanchâtre de la basilique, plus loin encore un bâtiment moderne, me semble-t-il, que je ne sais pas identifier), on voit les taches laissées par la pluie sur les vitres de la fenêtre, et les grilles grisâtres du garde-corps dessinent leurs ombres en déroutants reflets sur ces traces du temps. Cette géométrie due au hasard, cette géométrie du hasard, me réjouit : je suis comme un enfant qui ouvre des yeux émerveillés, un chat qui joue avec la poussière dans le rai de la lumière. Je pense à cette phrase que j’ai écrite il y a quelque jours dans mon cahier au bison rouge et qui disait : « Tout est de la même fabrique. » Aujourd’hui, dussé-je l’écrire comme si je ne l’avais pas déjà écrite, je dirais ainsi : « Tout est de même fabrique. » Et, quand j’y pense, je pense tout autant à son sens, sa rédaction effective et son autre rédaction possible, qu’à la façon dont elle est venue s’inscrire dans le poème dont j’essayais d’écrire quelques vers, au point non de se confondre avec lui mais de se fondre en lui, comme si elle en faisait partie d’une manière tout à fait naturelle. Question de forme = question de fond, ai-je écrit, oui. Est-ce que tout est une question de saut de ligne (dans le carnet au bison rouge, à petits carreaux, deux morceaux d’écriture distincts ne sont séparés que par l’écart de deux lignes sautées d’un coup, double de l’espace laissé entre les lignes d’un même morceau d’écriture et, ici, il n’y a presque plus de saut de ligne, depuis longtemps déjà, la séparation, ce sont les jours qui la font, tandis que, dans le livre sur les tombes auquel je travaille par ailleurs, il y a des retours à la ligne et des sauts de ligne), le nombre, l’espace laissé entre les choses, une histoire de densité ? Que conclure des ces considérations ? Je ne sais pas : rien ? Le but était-il de conclure ? Y avait-il seulement un but ? Dans le livre des labyrinthes, page 68, Paolo Santarcangeli : « Celui qui traverse le labyrinthe, doit passer par les errements et les pièges de l’obscurité, pour vaincre la mort : de même que les Hébreux firent pendant sept jours le tour des remparts de Jéricho, et de même que les Achéens assiégèrent Troie pendant sept ans. C’est constamment que les labyrinthes “classiques” — des monnaies grecques aux constructions des Indes — ont sept circonvolutions ; ce qui, évidemment, ne peut être que l’expression d’une volonté précise. Les replis des viscères et les lignes tracées sur le foie sont un miroir microcosmique du mouvement des constellations célestes. Ce mouvement cosmique fut reproduit dans la danse, transposant dans la catégorie du temps la représentation spatiale. Dans les profondeurs gît la représentation sous forme de mystère du grand ventre maternel et du labyrinthe dans lequel devra errer l’homme destiné à s’engager dans la vie. » Et moi, sage comme un numérologue sauvage à la recherche d’un chemin dans le labyrinthe de nos existences, de compter les 7 dans la date de ma naissance.