Je me sens comme un animal apeuré qui n’oserait sortir la tête du coquillage où il a trouvé refuge. La conque serait mon labyrinthe, au fond duquel je me cacherais dans l’espoir que, jamais, quiconque ne parvienne à retrouver ma trace. Santarcangeli émet de telles hypothèses : le labyrinthe crétois, « en paquet de viscères », dit-il, renvoie aux entrailles de la terre, au ventre de la mère. Dans un fichier, je suis les circonvolutions de la tresse, du chignon, de la coquille, de la fourmi qui la parcourt un fil à la patte, de la spirale, de la mer, qui — peut-être — s’étendent à l’infini. Quand je sors pourtant la tête de ma cachette, à croire que nul ne puisse faire autrement (petit escargot porte sur son dos sa maisonnette, aussitôt qu’il pleut, il est tout heureux, il sort sa tête, ne faisait-elle pas, la chansonnette ?), tout se télescope sans que je n’y comprenne grand-chose, et ce n’est pas tant que rien n’ait de sens — c’est en vérité l’expérience la plus banale qui soit —, c’est que tout s’enchaîne dans une rhapsodie chaotique et que notre vie pourrait tout à fait se dissoudre intégralement dans la succession des quasi-faits, pseudo-vérités, événements approximatifs, tragédies maladroites, cataclysmes triviaux, épopées aux confins du dérisoire, tout s’outre, tout s’exagère, et pourtant (retour au point de départ), tout est parfaitement insignifiant et, partant, absolument normal. Toute étymologie est un calembour, dit cet article à la lecture duquel je consacre une partie de mon temps et qui suit la trace des coquillages dans la mythologie des anciens Grecs : il apparaît que la représentation d’Ἀφροδίτη sortant de l’écume sur sa coquille de saint Jacques, le genre de clichés que la peinture italienne a immortalisés au sommet de l’Occident triomphant, est en réalité un jeu sur les sons : en grec, « écume » se dit ἀφρός. Du sommet de l’Occident, que demeure-t-il ? Trop encore, je le crains. Sans que, toutefois, le cours de l’histoire ne s’oriente dans le sens souhaité, guère d’„Herren der Erde“ à l’horizon, pas vrai ? plutôt des bouffons mal embouchés. Les jours de vote à l’Assemblée sont pires que les autres : il y a encore plus de sirènes sur le boulevard. Et, ainsi, il est évident que, dans un excès d’inutilité, la démocratie produit sa propre agitation, son propre vacarme, comme des mouches qui, enfermées dans leur bocal, se mettraient soudain à voleter en tous sens parce que la terre tremble. En fait, ce sont elles qui se donnent l’illusion qu’on secoue le bocal : il n’y a personne dehors, tout se joue dans le volume étroit où elles se trouvent confinées et le drame qu’elles s’imaginent vivre n’a aucun intérêt.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.