J’ai mis au courrier les premiers exemplaires du petit chantier, ce matin. Ce qui me rend heureux. C’est dérisoire, probablement, tant cette démarche est infime, ne pèse rien face aux poids lourds qui occupent l’espace médiatique, mais cela ne m’empêche pas de faire ce que je fais, de continuer de faire ce que je fais, d’avoir envie de faire ce que je fais, d’aimer ce que je fais. Précisément parce que, si dérisoire que ce soit, c’est ce qui me rend heureux, et me semble constituer — plutôt que le sens de mon existence, ce qui n’a pas réellement d’intérêt — la signification d’une existence désirable. Quand j’étais sorti sur le boulevard, pourtant, la laideur de la ville m’avait pris à la gorge : la saleté, la densité excessive de population, la puanteur, le vacarme, le gris qui étouffe le soleil. J’ai fait ce que j’avais à faire dehors aussi vite que possible je suis rentré chez moi, et je n’en suis pas ressorti. J’ai passé le reste de la journée à ne pas faire grand-chose, tout en caressant en esprit un certain nombre d’idées que je voudrais explorer à présent. Qu’en fait, je veux explorer depuis un certain temps sans y parvenir tout à fait, sans être pleinement satisfait de ce que je fais, de la manière dont je m’y prends, sans aller au bout des choses, du moins par le bout duquel je prends les choses. Peut-être que ces idées sont chimériques — toutes les idées ne sont-elles pas chimériques ? comment peut-on être certain qu’elles ont une réalité sinon quand elles cessent d’être des idées pour prendre la forme de choses, c’est-à-dire ne sont plus des idées ? —, mais elles dessinent au moins un horizon à venir, ouvrent un espace devant moi qui trace les contours d’une vie encore possible à vivre. Sinon, à considérer l’état du monde (par le petit bout de la lorgnette du morceau de ville sur lequel donne le pas de ma porte ou le plus grand des amples mouvements géopolitiques qui mettent les masses en branle), il est évident que je n’aurai la moindre raison, un tant soit peu sensée, de continuer de vivre. Mais ce n’est pas là, il me semble, dans l’état du monde, que nous devons chercher de bonnes raisons de vivre, mais dans le bonheur que j’évoquais en commençant cette page. Peut-être qu’il est dérisoire, peut-être qu’il ne l’est pas, qu’il est tout ce qu’il y a de vrai en ce bas monde, ce n’est pas quelque chose qui se décide a priori, — c’est quelque chose que je fais.

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