Extases provisoires ; — à qui attendrait mieux de la vie, s’imaginerait quelque plus haut sommet, que pourrions-nous répondre ? Non pas tant sur le versant de l’extase que sur celui du provisoire, n’insisterions-nous pas ? Ce que nous pouvons espérer de mieux, c’est-à-dire : un rayon de soleil qui déchire enfin la grisaille qui pèse sur le monde où nous avons été mis. Je pense souvent aux poèmes que j’avais écrits sous ce nom : sortes d’extases provisoires, et moins en vérité aux poèmes eux-mêmes qu’au titre qu’il m’avait semblé que je devais leur donner. Aujourd’hui, je voudrais barrer sortes du titre et ne conserver plus que les extases provisoires. Que puis-je espérer tirer de mieux du monde où je suis mis ? Luberon. Sous le ciel gris clair d’un automne orageux, dégradés rouges, jaunes, ocres de la vigne, sombre des forêts, verts et diverses ombres du paysage, un fois passée la barrière de béton infrangible qu’a dressée le progrès, l’arrière-pays provençal était sublime. Qu’il se trouve toujours quelqu’un pour justifier la destruction du monde — de Schumpeter à Dieu sait qui —, au nom de cette création de laideur, de cette création de valeur, de cette création de malheur, est un scandale si grand que personne ne semble capable d’en prendre la mesure : c’est là, devant nous, comme le bubon de quelque peste dont le noir serait trop profond pour l’offrir à notre vue, — défigurée. Il y eut quelque chose de beau, d’immense, de poignant, là, derrière, mais le souvenir s’en est estompé, et l’on ne conserve plus de ce temps reculé que les cicatrices dont nous avons fait notre horizon unique. J’essaie d’imaginer, mais c’est trop loin, devenu abstrait à force d’être abaissé. Et ne puis m’empêcher de me demander : comment se fait-il que nous n’inventions que du moins bien ? À perte de vue : files de véhicules. Seul le mistral, puissant, semble à même de racheter les péchés du temps. Rafales à 70 km/h, et plus. J’admire ce désert céleste. La vie, me dis-je, alors, ne connaît ni destruction ni création, sinon que seraient les milliers d’années de l’arbre jamais couché ? Ces années, nous ne les comprenons pas, ne comprenons qu’à peine la durée, sommes pétrifiés dans l’instant. Et je pense aux pierres volantes dont parlait mon père, hier, aux parois de verre contre lesquelles il disait devoir se protéger pour ne se pas blesser : n’est-ce pas le temps que cela, temps que nous ne saisissons pas, murés que nous sommes dans l’instant de notre existence sociale, insensible à la lenteur calcaire du temps, aux sédiments, aux couches qui s’accumulent, à l’épaisseur, et donc à la profondeur, ne croyant qu’au cahot dont nous inférons quelque chaos, traîne d’un nuage, écho d’un mirage. Parlant à d’autres êtres humains aujourd’hui (Danièle & Christian), j’ai été étonné de savoir le faire encore, d’être humain encore, d’être social encore. Serait-ce donc si simple ? Que quoi ? La vie.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.