10.4.19

Parfois, j’ai le sentiment d’avoir quelque commentaire à faire sur le temps présent, et je sais que c’est plus qu’un sentiment, que j’aurais réellement quelque chose à dire sur le temps présent, comme il a pu m’arriver de le faire, comme il m’arrivera encore de le faire, un commentaire critique, une analyse, un paradoxe à faire émerger, un concept à forger (comme celui-ci : ontophilie, l’impératif minoritaire à être fier de ce que l’on est) mais, si j’y pense effectivement un certain temps, suffisamment longtemps pour commencer à former dans mon esprit des phrases que je pourrais consigner par écrit ensuite, je ne le ferai pas, pas aujourd’hui, en tout cas, non par manque de volonté ou par faiblesse, ni par paresse, non, simplement parce que l’intérêt d’écrire ce genre de choses s’évanouit à mesure que les choses en question se précisent. Les gens qui gagnent à peu près bien leur vie dans le domaine des lettres, de l’art et de la culture sont pourtant, je le sais bien, des professionnels du temps présent, mais cela ne rend pas pour autant leur profession intéressante. Je sais qu’il faut voir dans le passé des événements qui éclairent le présent, qu’il faut être en prise directe avec son temps, être en phase avec son époque et, à dire vrai, dans une large mesure, j’obéis à ces impératifs chronologiques, après tout, je vis aujourd’hui, et pas hier, ni même demain, mais il y a quelque chose d’indiciblement naïf dans ces postures. Chaque fois que je m’apprête à dire quelque chose de ce temps présent, quelque chose de concret, pas simplement quelque généralité comme celles que je débite cependant que je suis en train d’écrire, je suis pris d’un sentiment double, quelque chose comme un léger dégoût qui provoque un grand ennui. C’est la tâche même qui est bête, s’acharner à parler de soi, relayer des pseudofaits qui nous concernent, dire qu’il s’est passé quelque chose et dire quelque chose sur ce quelque qu’il s’est passé, et ainsi de suite, et ainsi de suite. Est-ce un phénomène hallucinatoire qui est à l’origine de cette logorrhée contemporaine fascinée d’elle-même, causé par une forme de fragilité nerveuse, un tempérament purement réactif ? Je ne sais pas. En soi, ce serait intéressant d’analyser ce phénomène — après tout, nous vivons une époque où tout est intéressant, toute indication laissant supposer le contraire étant fondamentalement raciste—, mais je ne me sens pas de taille à l’affronter. Même ce développement passablement long me semble fastidieux, pour ne pas dire un peu ridicule. Est-ce le prix à payer quand on est dépourvu de génie ?

Une hésitation : les gens sont-ils foncièrement mauvais ou n’en ont-ils tout simplement rien à foutre ? Ou bien encore, s’ils se sentent coupables, quand ils font le mal tout en sachant que c’est le mal qu’ils font, le font-ils quand même en se disant : J’en parlerai à mon psy ?

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