27.4.20

Torticolis depuis hier. Le monde ressemble à une grosse masse informe et stupide. Certains jours, je ressens de la colère. D’autres, de la lassitude. Qu’est-ce que ça change ? Ma capacité à changer le monde est à peu près égale à zéro. Depuis trois ans que je tiens ce journal, qu’est-ce que j’ai changé ? Qu’est-ce que mon écriture a changé ? À peu près rien. Ce qui ne signifie pas que j’envisage de cesser d’écrire, mais que j’écris pour mon bon plaisir, guère mieux, ce qui fait une impression étrange puisque ce que je dis ne se résume pas à mon bon plaisir, au contraire. Mais cette écriture sincère, authentique, comme j’ai envie de le dire ce matin, concernée par l’exactitude et la clarté, cette écriture qui est la mienne, que pèse-t-elle face à la masse écrasante de langage qui est mise en circulation chaque jour ? À peu près rien. Je tourne un peu mieux la tête qu’hier, mais ce n’est pas encore très flexible, c’est raide, je le sens, quelquefois même très douloureux, comme une décharge électrique qui remonte du bas de la nuque et irradie la tête. Mal de tête. Yeux pas tout à fait ouverts. Cette nuit, j’ai si mal dormi, sommeil entrecoupé de réveils, plus ou moins réels, plous ou moins rêvés, est-ce que je sais ? Fragments de délires sur Ulysses, les épisodes du livre se mélangeant avec mes rêves. Aussi, ce matin, je me sens dans un autre monde. Les messages qui me parviennent de ce qui tient lieu de réalité semblent confus, basculant sans cesse de l’autre côté de la frontière du non-sens, de plus en plus laids, avec cette impression qu’ils sont émis par des armées de morts-vivants, des armées mortes de peur, mais d’autant plus dangereuses, ils n’ont pas l’air vrais, mais je sais qu’ils le sont, et je ne comprends pas pourquoi, pourquoi les gens ne changent pas, pourquoi ils continuent d’être comme ils sont, pourquoi ils continuent de vivre comme ils le font, qu’est-ce qui les pénètre de cette hantise du monde ? Sur son balcon, je la regarde, une vieille dame, masque autour du cou, essuie frénétiquement les tubes métalliques du garde-corps de son balcon. Est-ce qu’elle a envie de se jeter par-dessus ? Est-elle tellement désespérée qu’elle ne sait plus quoi faire d’autre, que c’est tout ce qu’il lui reste à faire, frotter ? Ou bien fait-elle comme d’habitude ? Personne dans la rue en bas de chez moi. Au loin, on entend toujours le vrombissement ridicule de scooters lancés à pleine vitesse sur les avenues quasi désertes. Que peut-on bien espérer d’une telle espèce ? Je sais que c’est la mienne, mais je ne parviens pas à m’en convaincre. Un peu comme si, regardant mon corps nu dans le reflet d’un miroir, je devais essayer de me persuader que je descends du singe.

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