28.4.20

Entre les nuages de pluie, on voit des pans de ciel bleu presque turquoise par endroits. Bientôt, tout ceci aura disparu, je n’en garderai qu’un souvenir vague, comme de toutes ces journées de pluie ou de soleil dont on a tout oublié jusqu’à l’existence même alors que c’est peut-être le plus important — le temps. À moins de découvrir une forme de météorologie négative : trouver des moyens de survivre par tous les temps ; comment faire quand le ciel est si gris qu’on n’y voit rien, l’air si pensant qu’on ne respire qu’à grand peine. Est-ce que ne serait pas désirable un monde dans lequel on ne serait pas forcé de faire semblant ? Bill Gates déclare que le retour à la normale ne se fera pas avant un an ou deux cependant que dans un commentaire sur internet une bonne femme donne sa recette pour décontaminer en toute sécurité les masques censés protéger les humains contre la propagation du virus. Dans un four à 65°C, faites chauffer le masque pendant 30 minutes. Ensuite, rangez-le encore tiède dans un sachet congélation que vous n’aurez plus qu’à ouvrir au moment de vous en servir. La normale, c’est la folie. Une science imaginaire a remplacé la superstition. Hier, j’ai regardé Stromboli, de Roberto Rossellini. On y voit Karen, une réfugiée internée dans un camp italien après la Seconde Guerre mondiale, épouser un pêcheur après que sa demande de visa pour émigrer en Argentine lui a été refusée. Après le mariage, il l’emmène sur son île où, très vite, l’isolement, les regards et les jugements des habitants remplacent les barbelés qui empêchaient les amoureux de s’embrasser. Elle tente de s’enfuir en escaladant le volcan pour gagner l’autre rive, et le film s’achève sur sa prière pour sauver l’enfant qu’elle porte à un dieu miséricordieux qui ne lui répondra pas. Le ciel est vide. Les barbelés sont la norme. La norme, ce sont les barbelés. Quand on appelle à l’aide, personne ne répond. Réalité désespérée du monde social, juste avant son ultime adresse, Karen s’était extasiée : « O God, what mystery, what beauty. » Image du Christ-femme. Rédemptrice que nul ne rédime. Le monde est beau et pourri à la fois. Comment entendre cette loi ? Le ciel est vide qui ne nous répond pas et la terre pleine d’assassins prêts à nous enfermer et nous tuer pour préserver leur illusoire sécurité, la normale, la stabilité d’un monde qui cause leur perte. Mais l’univers si vaste est si beau. Pas de réconciliation. Une infinie passion pour les quelques-uns qui tentent d’exister, une éternité d’illusion vide et froide pour les autres, tous les autres.

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