Je sais ce qu’il faut faire. Comment l’expliquer ? Je m’imagine toujours un regard, qui n’est pas le mien mais qui est le mien, et qui me juge, me regarde, m’observe vivre, et je vois bien, adoptant ce regard, ou le refusant au contraire, tout ce que l’on pourrait me reprocher, je le vois bien, je l’entends bien, mais est-ce que c’est difficile à expliquer ou est-ce que je ne trouve pas les bonnes phrases pour l’expliquer ? Ou est-ce que je ne crois pas ou ne sais pas ou n’espère pas suffisamment pour expliquer ? Je ne sais pas. Et je sais. Tout le problème ou l’absence de problème est là. Se regarder d’une façon et se regarder d’une autre façon. Peut-être que je suis trop intelligent pour ne pas me regarder seulement de l’intérieur ou peut-être que je ne suis pas assez intelligent pour ne pas me regarder seulement de l’intérieur ? Comment fait-on pour faire la différence ? Je sais ce qu’il faut faire. Ce qu’il faut faire, c’est ce que je fais. Et je sais combien cela peut paraître inexact, apparence déformée de la réalité, mais comment l’expliquer ? À force de vouloir expliquer les choses, ne finit-on pas par tourner en rond ? Et puis, il se trouvera toujours quelqu’un pour te reprocher une chose ou son contraire. Tu me diras, je ne parle à personne, mais cela ne change rien, ce quelqu’un, s’il n’y avait personne d’autre, ce quelqu’un, ce serait moi. C’est ce que j’aime, par exemple, quand je parle avec Pierre : je peux me taire longtemps, ne rien faire que l’écouter, et cela me suffit, parce qu’après tout, parler, c’est aussi se taire, c’est-à-dire : écouter, et puis quand je parle, à mon tour, lui parlant de tel ou tel projet, je ne sens pas de jugement a priori, mais une profonde écoute, au contraire. Je n’aime pas les gens qui ont des convictions. J’aime les gens qui cherchent la bonne façon de dire quelque chose à dire. En tout cas, j’aimerais être quelqu’un comme ça. Oh, peut-être que, oui, en effet, c’est l’assurance d’une vie sans succès, mais quelle différence cela fait ? Ces derniers temps, regardant les gens qui font métier d’écrire et qui ont du succès, je les ai trouvés très laids, repoussants, des choses plus ou moins vieilles, mais toutes grossières, fripées, très repoussantes, traits repoussants, même retouchées, les images que je voyais de ces gens provoquaient chez moi une répulsion, un rejet esthétique, un désadhésion immédiate. Et il y a toute une partie du monde, ainsi laide : lotissements, hlms horizontaux, dortoirs, dépotoirs, imitations en béton d’un pays fantasmé, grisaille crade même en plein soleil, amer bitume. Et puis, il y a toute une autre partie du monde, si belle, je la regarde, je la parcours, je l’aime chaque jour un peu plus, je me lève avec elle chaque matin et, même quand j’ai l’impression que je ne la supporte plus, je sais qu’à supposer que la vérité existe, la vérité est là. Et si la vérité n’existe pas, elle y est quand même.

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