20.6.20

Pas mangé de viande de la semaine. En revanche, passé la même semaine à lire Casanova (à peine moins de 500 pages). Quel rapport y a-t-il entre ces deux données factuelles ? Probablement aucun. Ou alors un qui dépasserait mon intelligence. C’est possible. Est-ce que je sais ? Je rêve parfois qu’il y a un sens à tout et parfois qu’il n’y a de sens à rien. Quelle différence cela ferait-il ? Aucune probablement. Si quelqu’un acceptait de ne pas se mentir, quelle vie mènerait-il ? Mauvaise question. Si tout le monde acceptait de ne pas se mentir, quelle vie mènerions-nous ? La question est-elle meilleure ? Par exemple, si quelqu’un essaie d’attirer l’attention de quelqu’un à soi mais que ce quelqu’un ne fait pas attention, est-ce qu’il faut en faire encore plus dans l’espoir d’enfin attirer l’attention ou se replier sur soi-même parce que jamais personne ne fera attention à soi ? Probablement ni l’un ni l’autre. Probablement fallait-il commencer par ne rien faire du tout. Mais, précisément, ne pas faire quelque chose, voilà qui est extrêmement compliqué. Et ne rien faire demande paradoxalement peut-être beaucoup plus d’efforts que de faire quelque chose. Ou sinon d’efforts, d’un seul et unique effort mais beaucoup plus intense. Ne pas manger de viande me semble une démarche consciente alors qu’en manger ne l’est pas. Ou alors le devient-on seulement après de ne pas en avoir mangé ? Est-ce que je suis conscient de lire Casanova comme je suis conscient de ne pas manger de viande ? Peut-être, peut-être pas. Mais pourquoi est-ce que je ne mange pas de viande ? Évidemment, ce ne serait pas la même réponse que je donnerais à la question : Pourquoi est-ce que je lis Casanova ? En un sens, non. Sauf qu’en un autre sens, ce serait la même réponse : pour moi. Je fais les choses pour moi. On peut toujours se dire qu’on fait les choses pour la planète, mais est-ce vrai ? On peut toujours se dire qu’on fait les choses pour les autres, mais est-ce vrai ? Si, du jour au lendemain, tu vas faire tes courses dans des magasins tenus par des personnes d’origine africaine, sans même les connaître, simplement parce qu’elles sont de cette origine, et qu’on t’a dit qu’elles l’étaient et que c’est là qu’elles se trouvaient (ce n’est pas toi qui as fait des recherches, pris des décisions, toi, tout ce que tu fais, c’est obéir), est-ce que tu le fais pour elles, que tu ne connais pas, ou pour toi, pour te donner bonne conscience, accumuler de la vertu, ce supplément grâce auquel tu espères sauver ton âme ? Mentalité religieuse ? Toujours. On n’en sort pas, de toute façon. Le culte de la culpabilité. On s’imagine que, n’allant pas ou plus au temple, on est plus libre — parce qu’on pense en avoir fini avec la religion —, mais c’est faux, la mentalité religieuse prend tellement de formes : l’obéissance au dogme, l’interdit, la mauvaise conscience, la culpabilité. Qu’est-ce qu’on ne te ferait pas faire au nom de quelque chose ! Par la grâce nihiliste de la mauvaise conscience. Pourquoi est-ce que je fais ce que je fais ? Pour moi. C’est tout ? Réfléchis.