8.8.20

Est-ce que le monde s’effondre ou est-ce simplement son état normal ? Cette question, voici comment je crois que je peux l’entendre : je ne vis pas dans un univers entier, plein, que je peux embrasser, auquel je peux m’unir, dans lequel je puis me fondre, je ne perçois jamais de lui que des images zoomées, microscopiques visions : un aspect de la réalité m’est soudain jeté à la figure et je ne vois plus que cela, et puis un autre, et puis un autre, dans ce qu’il faut bien appeler une perception stroboscopique de la réalité, de plus en plus vite, toujours plus de catastrophe : des maladies, des explosions, des cataclysmes, des extinctions, toujours plus fort, chaque fois pire. La mort est certaine, mais est-ce cela qui nous intéresse, ou bien de nous détourner de la réalité brutale et implacable de cet antiphénomène en nous terrorisant toujours un peu plus ? Le paradoxe ne serait-il pas celui-ci : quand j’ai peur de la mort, je ne pense pas à la mort, à ce qu’elle fixe, à ce qu’elle détermine, à ce qu’elle ouvre, au continuum spatiotemporel qu’elle délimite pour moi — parce que tout se rapporte toujours à ma mort pour moi —, à ce qu’elle rend possible au sens de ce à quoi elle m’oblige pour moi, non ? Quand j’ai peur de la mort, je ne pense pas à la mort, je cherche comment y échapper. Sauf que je n’échapperai pas à la mort. Chercher comment échapper à la mort, ce n’est pas chercher comment vivre, c’est même tout le contraire, c’est chercher comment dévivre, comment déjouer le sort. Négation de la mort = négation de la vie. N’est-ce pas une des raisons pour lesquelles les postmodernes que nous sommes détestons tant le destin, auquel nous préférons la fabrication de micro-identités factices ? Tant que je suis acharné à me faire un corps qui me ressemble, un corps de poils, un corps de femme, un corps de chien, un corps de mal, j’ignore le terme, la fin, l’accomplissement dans l’arrêt de toutes choses miennes. Le fantasme ultime des postmodernes est la déconstruction de la mort qui, impossible, se multiplie dans une infinité de microdéconstructions, répliques des microzooms au travers desquels la réalité nous est donnée à voir : politiques des poils, politiques des légumes, politiques des pigments, politiques des chiffons, politiques des accords sujet-verbe-complément. Tout est bon. Tout est bon du moment que ça détourne. Quand je regarde mes doigts de pieds en éventail, comme je le fais en ce moment, je ne me demande pas de quoi ces pieds sont l’expression politique, non pas : je sens un nœud dans mon ventre, je ressens la peur de ne rien faire d’ici là, de ne rien faire de ce d’ici là qui ait quelque valeur, de ne rien accomplir dans ce laps toujours plus court qui me sépare de mon terme définitif. Tout est ridicule quand on pense à la mort. Comment ne pas être obsédé par cette idée ? Comment ne pas voir en elle une puissance pour décupler nos forces ? Comment se replier chaque jour un peu plus sur sa microidentité, le dernier microfait d’actualité ? Comment ne pas dilater le cosmos que je suis ? Comment ne pas vouloir envahir l’univers ? Comment ne pas vouloir devenir l’univers ?

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