L’art : répugnant. Nous avons tant désiré qu’il fasse partie de nos vies. Et maintenant qu’il y est, nous n’avons plus qu’une envie : qu’il en sorte, qu’il retourne dans ces musées poussiéreux où il n’incommode que les fanatiques, dans ces galeries que personne ne fréquente à part de riches collectionneurs, dans ces bibliothèques inaccessibles à qui n’a pas le pédigrée, dans ces ateliers obscurs qui sentent le stupre, les stupéfiants, et le suicide ; bref, qu’il redevienne chose privée. Faut-il donc que tout se convertisse en son contraire ? Sur une péniche, en période de pandémie, de vieux écrivains embourgeoisés réclament la réouverture des librairies : « Ne plus vendre de livres, dit l’une d’eux (pourquoi me dis-je, après avoir cherché son nom sur internet, et regardant les images de sa décrépitude : tiens, je pensais qu’elle était noire ? — décidément je ne comprends rien à ces histoires de couleurs de peau, d’ethnies diverses : l’individu, c’est tout ce qui compte dans mon ontologie), ne plus vendre de livres, c’est catastrophique. » Pas la littérature, non : la boutique. Pas la lecture, non : le commerce. Est-ce vraiment un lapsus ou est-ce que, passé un certain âge, on s’oublie même en parlant ? Que l’art fasse partie de la vie devait contribuer à l’élévation de la vie. Ce que pensaient les pragmatistes deweyiens. Naïve engeance qui fut la mienne. Quelle erreur ! Tout est rabaissé. Faut-il donc que tout se convertisse en son contraire ? Que nos vœux, se réalisant, nient ce que nous espérions les formulant ? Ne plus rien désirer, ne plus formuler de souhait, ne plus rien vouloir qui puisse se réaliser, ne plus avoir de rêves qu’utopiques, irréalistes, impossibles ; est-ce le seul remède ?

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