Un jour de plus un jour de moins, qui a jamais compté le nombre des jours ? Sur la page de Nelly, je lis que quelqu’un lui écrit : « essayes d’en profiter quand même ». Pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Et je sais que qui pense mal, écrit mal, et vit mal, et que tout se tient dans une solidarité abjecte, mais comment le faire entendre ? À qui ne le sent pas, qui pourra le lui faire sentir ? Le mal, qu’est-ce que c’est ? Oh bien sûr, c’est la haine, la violence, la douleur, et toutes ces manifestations brutales et manifestes. Mais si ce n’était que cela, il serait si facile de lutter contre et surtout de ne le pas faire. Le mal, c’est avant tout la facilité. Cause première de la bêtise. Hier, ou du moins c’est hier que j’ai vu la chose en question, une journaliste en charge des pages littéraires du Monde faisait sa liste des meilleurs livres de ces dix dernières années, réflexe grégaire de fin d’année, et illettré, évidemment, réflexe de journaliste sans la moindre idée, petit singe bien élevé, à la suite de quoi, moi, regardant sans trop savoir pourquoi ni trop comprendre comment ni trop deviner dans quel but cette liste stupide, je me suis aperçu que, parmi les 35 titres qu’elle dressait, savamment issus dans sa tête à elle, je n’en avais lu aucun, et que, non seulement je n’en avais lu aucun, mais qu’à lire les titres de ces livres organisés systématiquement, je n’avais envie d’en lire aucun. Exactement zéro. Ensuite, me souvenant que, il y a quelques jours, alors qu’elle était en train de faire une liste, Nelly m’avait dit qu’il y avait un lien entre la manie des listes et la maladie d’Alzheimer, je me suis demandé si cette journaliste serait si disposée à faire des listes de livres médiocres en prétendant que ce sont les meilleurs comme elle s’enorgueillit de le faire si elle savait que c’était le premier pas sur le chemin de la maladie de la mort. Probablement que non. Mais le premier pas sur le chemin de la maladie de la mort, qu’on le sache ou non, tout le monde le fait, c’est même le premier pas que chacun fait sur le chemin de la vie, et n’est-ce pas à la fois terrible et sublime que le premier pas sur le chemin de la vie soit aussi le premier sur le chemin de la mort, qu’un pas en un sens et un pas en un sens contraire soient en vérité un seul et même pas ? Je me suis demandé si, dans les livres de la journaliste du Monde, il était question de ce genre de questions. Mais comme, pour le savoir, il aurait fallu les lire, j’ai préféré ne plus y penser, et penser à autre chose. À l’orange nimbé de gris bleu du soleil couchant. Et de me faire cette question, admirant cette scène si belle qu’irréelle (qui peut en jouir, en effet ?), avec un sérieux plus feint que cérémonieux : il y a tant de grands écrivains, Jérôme, tant de grands écrivains, ne crois-tu pas que la vraie grandeur, ce serait d’être petit, minuscule, invisible, de se glisser sous la surface sensible des choses pour n’être plus jamais aperçu, moins qu’un petit écrivain, un écrivain de rien, rien d’un écrivain ?

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.