Effacer. Ce que je viens de faire. Une fois de plus. Effacer. Y a-t-il autre façon d’avancer ? Effacer ce que l’on écrit. S’effacer. Soi-même, c’est-à-dire. Procéder à sa dissolution personnelle afin de gagner d’autres territoires. Terres lointaines. Proches rivages. Si souvent, tu n’entends pas les voix qui parlent en toi, tu n’entends pas que, de ces voix, aucune n’est la tienne, qu’elles ont été implantées là pour t’empêcher d’entendre ta propre voix, pour que tu finisses par admettre que, ta voix à toi, elle n’est pas intéressante, elle n’est pas belle — tu n’as rien à dire. Efface-toi. Toi, ce n’est pas toi. Ne te tais pas, personne ne peut te réduire au silence, tu as le droit à la parole, libère-la, dit pourtant la langue, et elle ajoute : parle comme moi. D’où ces vocabulaires qui se déploient, espèces invasives, vocabulaires qui ont l’air si vrais, si justes, qui s’imposent si fort et si vite qu’il semble qu’on ne puisse parler sans eux, qu’on n’ait jamais su parler sans eux. Et qu’ils ont l’air vieux, dès lors, ces mots, qui viennent de perdre tout sens. Nous ne l’avons pas encore ouverte que les mots sont déjà là, dans notre bouche. C’est que le mal peut être tellement beau, lui aussi. D’autant plus qu’il a le kitsch pour nature. Répète, dit la langue qui s’impose. Répète. C’est le propre du pouvoir que de t’obliger à employer certains mots plutôt que d’autres, à former certaines phrases plutôt que d’autres, un pouvoir qui tient en horreur toute forme d’émancipation, mais travaille à toute force à l’unité grégaire des populations. La même chose en même temps pour tout le monde. Oh, le beau gouvernement mondial. Notre première tâche consiste à refuser cette langue. Refuser de parler cette langue. Ce n’est pas une langue, d’ailleurs, c’est une arme de guerre. Notre seconde tâche consiste à refuser ce monde. Ce n’est pas un monde, pas un ordre, mais une obéissance, pas une jungle, une junte. Notre troisième tâche consiste à refuser la guerre que la langue du monde déclare. À refuser la machination du pouvoir qui s’exprime à travers elle. Notre quatrième tâche consiste à mettre des mots à la place des autres. Changer le sens. Revenir à l’origine. L’oublier jusqu’en son fondement. Pas déconstruire, non. Détruire. Systématiquement. Si tu adoptes les vocabulaires qu’on t’impose, tu as déjà perdu la guerre. Il ne faut pas combattre. Il ne faut pas faire la guerre. Il faut détruire la guerre.

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