En paix avec soi-même. Est-ce que je suis en guerre avec moi-même ? Est-ce que la paix est une pause dans la guerre ? Est-ce qu’il faut s’apaiser ? Est-ce que la paix est semblable à la mort ? Comme hier, il me semble que je dois faire un effort important pour ne pas parler de ce dont on veut m’obliger à parler. Et si je ne puis me défaire de cette impression que le monde social a essentiellement pour vocation de t’empêcher de penser à ce que toi tu veux penser, est-ce parce que je suis monomaniaque ou parce que j’ai raison ? Et si j’avais tort, faudrait-il que je cesse de m’efforcer de penser ce que je veux penser ? La bande passante des informations est une arme destinée à te faire dévier de ta trajectoire, à t’imposer une trajectoire qui n’est pas la tienne, mais celle d’un autre, quelconque, un autre quelconque qui n’existe probablement pas, une chimère puissante, certes, mais une chimère surtout. Nous sommes des amibes réactives, qui avons l’illusion de penser. Nous sommes comme les pierres de Spinoza. Mais à quoi bon continuer ? Ce matin, la machine m’a informé que l’an dernier ce journal avait trois ans et un jour. Quatre ans et un jour, donc, aujourd’hui, que j’écris cette chose étrange dont je ne sais même pas vraiment quoi faire, sinon l’écrire, un peu bêtement, je dois bien l’avouer, pas mécaniquement, non, pas par habitude, non plus, non, si je devais en énoncer la raison, je la dirais ainsi : par amour. Par amour de quoi ? Par amour. C’est tout. L’an prochain, est-ce que je ferai la même chose ? Est-ce que je serai toujours en vie ? Est-ce qu’il restera une raison d’espérer ? Ou y en aura-t-il encore moins ? Il faut te dépouiller de tout ce qui n’est pas toi, dis-tu, mais comment savoir ce qui est toi et ce qui ne l’est pas ? Qui nous apprend à faire la différence ? Comment apprendre à faire la différence ? Y a-t-il seulement une différence ? Assez de questions. Je viens de terminer le Β de mon poème. Comme toujours, impossible de savoir ce que ça vaut, si c’est génial, nul ou banal. Comme de toute façon, ce texte, comme la plupart des autres, ne rencontrera aucun écho, je me concentre sur ce qu’il y a de plus important : le texte même. Sa structure cohérente qui n’est pas un pur jeu numérologique dépourvu de sens, un cadre formel orné, mais une boussole. Son progrès Α Β Γ Δ Ε Ζ Η, dont l’écriture en alphabet grec n’est pas une coquetterie, mais une dimension du texte même, une de ses façons à lui de d’exprimer. À lui, c’est-à-dire (aussi) : à moi. Et toujours cette question : comment faire pour que mon expérience ne soit pas seulement mon expérience, mais qu’elle devienne l’expérience de tout le monde ? Non pour que tout le monde pense comme moi, mais pour que tout le monde pense comme soi. Que chacun, pensant par soi, pense pour tout le monde.

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