8.4.21

Pas envie aujourd’hui. Est-ce que je ne perds pas absolument mon temps face à mon époque ? Laquelle, de toute façon, ne m’écoute pas. En écoute d’autres que moi. Peut-être ont-ils raison et moi, tort. Qui sait ? Les questions de morale n’ayant pas de rapport avec la raison, la logique, se formant au contraire autour de fantasmes, d’obsessions, d’interdits, de névroses, de modes, qu’y a-t-il finalement à en dire pour qui ne veut pas éructer, mais essayer d’articuler des phrases intelligibles ? S’il n’y a de place que pour la tautologie ou le non-sens, à quoi bon parler ? Aussi, me suis-je tu. J’ai passé la plus grande partie de la journée d’hier à lire Proust. Ce qui est à la fois une façon de s’extraire du temps présent, de lui échapper, ou mieux : de le congédier, et de tenter de comprendre quelque chose. Au temps, à la vie, sans plus méconnaître l’idée de Proust selon laquelle il est impossible de parvenir à une image complète du monde parce que celle-ci s’élabore dans le temps. Je me souviens, après avoir échoué pour la énième fois à l’agrégation de philosophie, après avoir compris, plus exactement, pour tout un ensemble de raisons que je n’ai pas envie d’évoquer aujourd’hui, que je ne l’aurai jamais, je me souviens de m’être fracassé contre Proust à qui j’aurais voulu consacrer une thèse qui aurait été une lecture logico-philosophique de la Recherche, et dont le nom aurait dû être, je m’en souviens parfaitement, Paradégnimatique Albertine, ce devait aussi être une sorte de revanche, une très mauvaise idée, par conséquent, et je me suis sans doute moins fracassé contre Proust que contre cette idée même, de la revanche, alors que j’étais si malheureux, à cause de l’échec, à cause de la maladie de ma mère, à cause de la mort de ma mère, à cause de tout ce que je n’étais capable ni de comprendre ni de faire. Qu’aurais-je dû faire ? Rien, peut-être, rien sinon pleurer. J’ai fini par suivre Nelly à Paris. Ville que j’ai détestée et qui m’a sans doute sauvé la vie. Depuis ce temps-là, suis-je devenu capable de comprendre et de faire ? Si l’on prend le rapport succès / échec comme critère, il semble évident que non. Mais est-ce que j’ai dit mon dernier mot ? Aussi longtemps que je suis en vie, la question ne se pose même pas.