27.4.21

Encore une fois, envie de disparaître, pas d’arrêter, non, de ne plus rien rendre public, de creuser dans le sens de la profondeur, à la manière d’une sonde plongée dans un clair secret, une forme, une perspective, bref, une œuvre, écrire sans rien en dire, pas dans le dessein de garder le silence, donc, mais dans celui de cultiver l’absence d’ébruitement. Et si je ne le fais pas, si je ne fais pas tout ce que je crois qu’il me faudrait faire pourtant, est-ce l’effet d’une forme de vanité supérieure ou de quelque absurde espoir que j’entretiens au sujet de l’avenir dont on ne sait même pas, à vrai dire, s’il arrivera ? (C’est tout le problème de l’avenir, voyez-vous : on s’attend à ce que quelque chose arrive dans le futur, mais qui nous dit que ce futur arrivera jamais ? Temps qu’il faudrait cesser d’employer pour ne plus s’exprimer qu’au conditionnel.) Voici les choses comme ils me semblent qu’elles sont : je me sens pris, pris au sens de prisonnier, pris entre la bêtise, à laquelle je contribue pour une part considérable, et excessive, pris entre la bêtise et la laideur du monde, laideur qui est la leur. Mais à qui ? Est-il vraiment indispensable de préciser la chose ? Sur la vitre de la fenêtre, il y a des traces, traces sans doute que l’enfant a laissées avec ses doigts. Elles me dérangent (pas l’enfant). Je me lève, les efface, me rassois, constate la transparence de la surface. Bien, si je devais expliquer la chose à quelqu’un — mais je ne parle pas au genre de personnes à qui je devrais l’expliquer (et, de fait, à la double exception de Nelly et Daphné, exception remarquable, avec qui est-ce que je parle ? personne, non, personne) —, si je devais expliquer la chose à quelqu’un, je dirais que je n’ai pas envie de mourir, mais que je n’ai pas envie d’exister, pas comme ça, et je ferais pour souligner ce mot et dire ce que j’entends par là, un autre mot n’allant pas, je ferais un geste des mains (d’une main ou des deux ? je l’ignore, il faudrait que je parle à cette personne pour le savoir) indiquant la lourdeur, l’excessive pesanteur de l’existence, et que je voudrais alléger, non pas me libérer de ce poids, mais le réduire. Est-ce que je veux disparaître pour réduire ce poids ? Poursuivant mon explication, je tâcherais alors de décrire peut-être comment nous avons renoncé à alléger le poids et nous satisfaisons de nous en débarrasser, égoïstement, mais le poids ne disparaît pas pour autant, au contraire, il croît, et l’existence devient de plus en plus lourde avec cette croissance. Qui allégera le poids de l’existence ? Disparaître, me dis-je à présent, interrompant mon explication, disparaître, n’est-ce pas renoncer à être celui qui allégera le poids de l’existence, n’est-ce pas se contenter de l’alléger pour soi ? Or faire cela, par suite, n’est-ce pas faire comme tout le monde : se débarrasser du poids, ajourner l’allègement, le confier à un hypothétique futur, un avenir qui n’arrivera peut-être jamais ? Que devient alors le conditionnel si tout le monde, même moi, parle à l’indicatif ? Grammaire du temps qui passe et de l’organisme qui se transforme : écrire, c’est exister et ne pas exister.