Cette nuit, j’ai rêvé qu’une éditrice que je connaissais quand j’habitais à Paris (à croire que depuis que je ne vis plus à Paris il ne se passe plus rien dans ma vie), et qui m’avait conseillé de récrire mes livres de telle ou telle façon (comment exactement ? cela, je ne m’en souviens plus, et je crois que c’est tant mieux, en tout cas pas comme je les écrivais ni comme j’avais envie de les écrire, cela, c’est certain), qu’une éditrice me disait que, plutôt que d’envoyer mes manuscrits à telle ou telle personne, je devais les lui adresser à elle, qui se chargerait ensuite de les faire suivre à telle ou telle autre personne plus à même de me comprendre et de me publier. Ensuite, je voyais parler une jeune femme assise sur une chaise, la jambe gauche croisée sur la jambe droite, les mains posées dessus, les bougeant de temps à autre pour accompagner son propos, allier le geste à la parole, quoi, un peu comme on en voit dans ces vidéos dont on ne sait pas très bien si ce sont des messages publicitaires enregistrés par des amateurs, des tentatives ratées de prescrire l’achat de tel ou tel chef-d’œuvre de la littérature écoféministe (QUI MANGE DE LA VIANDE, MANGE DE LA MORT, voire : QUI MANGE DE LA VIANDE, MANGE SES MORTS, tandis que les autres, abstinents, mangent de la vie, la preuve, ces belles tomates de Provence produites en Bretagne à grands renforts de pesticides un petit peu moins toxiques que du Zyklon B, laissez-les sur le rebord de votre fenêtre, vous verrez la belle vie, oh la belle vie, croître et prospérer, tout est bon qui donne bonne conscience à l’Occident post-post-moderne) ou, plus probablement, des numéros comiques involontaires et qui, bien sûr, ne font rire personne, elle avait les cheveux noirs, les yeux sombres (je ne saurais pas en définir de façon exacte la couleur), la peau très claire, presque blanche comme une feuille de papier ivoire, elle portait un gilet noir, une jupe rouge et des collants noirs, les souliers, elle en avait, oui, mais de quelle couleur, je ne sais plus, noirs aussi je le suppose, et elle parlait d’une voix calme et douce, quasi hypnotique (cette expression, sans que je sache très bien pourquoi, le double -i, sans doute, j’aurais envie de l’écrire en un seul mot quashypnotique ou mieux quasipnotique), mais je ne sais pas ce qu’elle me disait, ni même, d’ailleurs, si elle était en train de me parler à moi, à en juger par la description automatique que j’ai donnée de la scène à l’instant, j’aurais tendance à penser qu’elle parlait face caméra. Mais à qui ? À la terre entière, probablement. Tout ce que je sais, c’est que ces deux scènes successives, reliées par une chaîne de causalité implicite, étaient tout aussi criantes de vérité que parfaitement absurdes. Vers la fin de la journée qui a précédé la nuit de ce rêve, Mehdi Pérocheau m’avait cité un extrait d’un entretien que Borges avait accordé à un journal français, entretien au cours duquel il déclarait (je cite ) : « J’avais commencé à lire Guerre et Paix, mais j’ai abandonné lorsque les personnages devenaient inconsistants. » Phrase que moi, je ne comprends pas, et j’aurais aimé lui demander (à Borges) ce qu’il entendait par là. Or, dans le monde des lettres françaises, on ne pose pas de questions (que de fausses et rhétoriques questions), on se contente de faire répéter aux gens l’argumentaire de vente que, célèbres ou non, ils sont censés devoir débiter comme des automates parlants. D’où l’incompréhension suscitée en grande partie par ma trilogie fantastique (quoi que cela veuille dire), qui a été prise pour une suite de variations sur des thèmes borgésiens, alors qu’en vérité, je ne suis à peu près d’accord avec rien de ce que raconte Borges (même si j’admire le conteur et le poète, l’un n’empêche pas l’autre), comme en atteste mon incompréhension devant cette déclaration péremptoire et quelque peu inepte sur le roman de Tolstoï. Était-ce un sentiment de cet ordre qu’exprimait dans son idiotisme mon rêve ? Comme tous les humains de mon époque, je déteste la posture de l’incompris, parce qu’elle date d’une autre époque que la nôtre, époque précédente à la nôtre et à laquelle, en raison de sa précédence, c’est ce que nous nous imaginons, les humains étaient moins évolués qu’aujourd’hui, mais malgré cette haine toujours remise au goût du jour, il n’est pas possible de ne pas constater que, parfois, pour ne pas dire souvent, pas possible de ne pas dire, donc, que souvent les gens ne comprennent pas ce que l’on raconte et que c’est extrêmement problématique parce que, n’ayant déjà pas le temps de lire, ils n’ont pas non plus le temps de comprendre pourquoi ils ne comprennent pas. Aussi, comme il n’est pas possible de déclarer publiquement que l’on est un incompris, cette affirmation aussitôt prononcée serait en effet immédiatement rejetée par l’ensemble du corps social à grand renfort d’arguments de tous ordres, est-ce dans les rêves que s’expriment ces sentiments archaïques, et peut-être pas absolument faux, toutefois. Est-ce dans les rêves ?

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