25.10.21

En fut-il la cause, le vent qui ramena vers moi l’écho de la voix de cette jeune fille imitant la brebis ? Je ne sais pas. Mais à ce moment-là, prenant la photographie de ce qui se découvrait devant mes yeux, au-dessus et en contrebas, j’ai envié leur existence, leur sort, leur lot. Je ne dispose d’aucune preuve pouvant attester l’idée que je me fais de leur nature, tout au plus s’agit-il de rêveries fondées sur quelque vague notion de probabilité. C’est vrai que le temps s’y prêtait, et le cadre, une fois franchies les limites de la ville, non sans avoir dénombré les péchés capitaux dont la représentation orne les murs d’enceinte de la prison devant laquelle on passe lorsque l’on emprunte ce chemin. De chemin, il y en a un autre, évidemment ouvert aux voitures, celui-là, sorte d’hérésie qui ne surprend pas qui a le malheur d’avoir décidé de vivre à Marseille, et qui permet de se rendre à Sormiou sans le moindre effort, mais en polluant l’atmosphère, et qui explique la présence de touristes d’un certain âge en surpoids manifeste qui auraient été bien incapables de se rendre ici par la seule force mécanique de leurs membres (mous). Imbécile civilisation de l’automobile. Qu’importe ? Emprunter tel chemin plutôt qu’un autre n’était qu’une différence de degrés sur l’échelle de l’horreur que gravit l’humanité partout où elle se rend. Partout des gens. Et moi aussi, malgré la tentation de ne pas me compter dans le nombre, il faut bien que je me rende à l’évidence, je fais partie des gens. Trop de monde. J’avais décidé de me rendre ici, empruntant ce chemin, pour échapper aux gens, et suer seul au monde, et inhaler les parfums de la solitude. De l’impossible solitude. Si l’on me posait la question, je serais enclin à répondre que c’est la civilisation de l’automobile qui rend la solitude impossible, mais que serait cette réponse sinon une façon de faire valoir mon privilège de bipède marchant ? Et les treize kilomètres parcourus, parfois au péril de ma vie, ne devraient-ils pas cependant me donner raison ? Qu’en auraient-ils pensé ? Je ne le sais. Songeant à eux, je me suis fait la remarque qu’ils étaient plus proches de la vérité que nous, mais je n’en sais rien. Encore une fois, ce ne sont que des hypothèses fondées sur des probabilités intuitives. Étaient-ils plus proches de la vérité que Virgile ? C’est possible. Mais, en toute logique, le contraire l’est aussi. Lisant les Bucoliques et sortant Paludes de la bibliothèque pour le relire, c’était ce à quoi je pensais, et au chemin heureusement parcourus depuis qu’ils ne sont plus. Mes ancêtres, ces bergers analphabètes.