20.11.21

Les pieds dans l’eau, l’illusion semble parfaite, si parfaite qu’on voudrait la tenir pour vraie, mais que cela ferait-il sinon ajouter une illusion supplémentaire, une illusion sur une illusion, et ainsi de suite à l’infini ? Il fait beau, l’eau est douce, claire et délicieusement salée, la plage est déserte ou quasi, le nageur est poli, il y a bien une chienne horrible, du genre qui ressemble à une grosse ourse en peluche, une chienne ridicule à qui sa maîtresse dit allez Coda va voir papa, papa qui est un homme, bien sûr, pas un chien, sur terre, les papas et les mamans des chiens sont des êtres humains, pas des chiens, et puis aussi un type qui vient cracher son odeur d’herbe à fumer sur les gens qui n’ont rien demandé, mais cela ne nous empêche pas, Daphné et moi, ne nous empêche pas d’être Athéna et Poséidon, Poséidon qui, depuis que les humains ont inventé le bateau à moteur, a bien du mal à se faire craindre des lointains descendants d’Ulysse, ne nous empêche pas d’être Artémis et Hermès, qui a volé le feu d’Hestia pour remplacer le feu d’Héphaïstos qu’il met à la place de celui d’Hestia, avec pour conséquence que le foyer d’Hestia brûle trop fort et celui d’Héphaïstos, pas assez, quel farceur, cet Hermès, c’est vraiment le dieu des voleurs ! et même, sur le moment, je ne pense pas que ce nom propre, Coda, est emprunté au vocabulaire musical, auquel probablement, papa et maman ignorent tout, non, je n’y pense pas, je ne pense à rien, sinon que je suis ici, que nous sommes heureux, que la vie est belle, preuve que vraiment l’illusion est parfaite, malgré ces modestes désagréments, non, vraiment, tout semble parfait, et pourtant, les tortues meurent étouffées par les sacs plastiques qu’elles prennent pour des méduses. Mais pourquoi les tortues mangent-elles les méduses ? m’avait demandé Daphné. C’est vrai, quelle drôle d’idée. C’est que vivre, c’est une drôle d’idée, une fois que l’on a commencé, sauf exception, on ne veut plus s’arrêter, et il est impossible de revenir en arrière, l’histoire ne revient jamais en arrière, elle avance, comme nous, inexorablement, qui sommes destinés à mourir. L’illusion est parfaite, parfois, c’est vrai, et cette illusion est peut-être la cause de cette force qui nous pousse en avant, à continuer de vivre. Sans cette illusion, tout s’effondrerait comme de démesurés édifices de béton sous le poids de leur construction. Mais nous tenons bon, nous avançons, parfois, comme dans l’histoire des tortues et des méduses, nous étouffons, mais nous passons outre, en avant, telle est la cinétique de l’histoire.