18.5.22

Il y a une solution pour tout. À tel point que la vie semble n’être plus qu’une longue séance de thérapie, terminable comme la mort seule termine. Ulysse est un héritier imbu de lui-même et son odyssée, un documentaire scénarisé pour diffusion télée. On se pâme, on s’extasie, on singe des admirations transies. Les vrais héros de notre temps sont les entrepreneurs capitalistes dont les milliards cachent mal la nullité de leur philosophie. Les vaisseaux qui traversent les systèmes solaires sont vides, et les images qu’ils en rapportent, des extrapolations numériques. Nous sommes aveugles et pourtant, nous voyons tout. Viderunt nihil, chanterait le Pérotin de notre temps. Mais à quoi bon ? Pourquoi se fatiguer les cordes buccales, s’exciter la cavité vocale ? Même le silence est un produit marketing sur lequel on glose indéfiniment : on bavarde, on se sent bien quand on se débarrasse de son trop-plein, ἐμβαίνουσιν ἕτερα καὶ ἕτερα ὓδρατα επιρρεῖ. Et puis rien, ça n’a pas de fin. On fouille le fond de sa culotte dans l’espoir d’y découvrir le sens ultime, la force qui rédime, le salut de nos corps dégingandés. Et partout, c’est le vide. Y a-t-on jamais trouvé autre chose qu’un trou ? Tout est-il orifice ou politique ? Je ne sais plus. Et, en vérité je vous le dis, tout, ce n’est pas grand-chose. The mockery of it. Mais quand tout est moquerie, l’esprit de sérieux gouverne l’ensemble des esprits. Triste comme seule l’Inquisition le fut : assassine gravité. Sinon pourquoi souriraient-elles en permanence (et eux aussi) ? Chacun est la stasi de chacune, et réciproquement. On fabrique des voiles opaques et s’étonne de ne plus trouver nulle part vérité qui vaille. Même à tâtons dans le noir, même à quatre pattes dans le néant, nous sommes des bêtes sauvages qui regardons au ciel désespérément vide : que n’est-il habité pour nous qui ne sommes pas peuple ? Milliards de voix qui n’éraflent pas l’échine de notre indicible humanité. Il fait chaud. Sur le chemin, la vieille qui accompagne la vieille encore plus vieille, la mère sa fille, probablement, tout de noir vêtue, porte un tshirt où sont écrits ces mots en lettres blanches :
BODY
IN
REVOLT
qu’elle ne porterait certainement pas s’y étaient inscrits les mots :
CORPS
REVOLTÉ
et qui signifient exactement la même chose. Notre grammaire approximative. Nous avons besoin d’exotisme et voyageons d’autant mieux que nous ne comprenons pas très bien ce qu’on nous raconte. Que valent-ils ? Quoi ? Mes inoffensifs graphes. Ils fondent comme graisse au soleil. Que n’ai-je les vibrantes facilités linguistiques du moustique ? En son vol nocturne. Écoute. Bbbbbbbzzzzzzzzzzzzzzzzzbbbbbbbzzzzzzzzzzzzzzzzzputiiinbbbzzzzkllaakkémerdaï ! Qui te réveillent en pleine nuit. Yeux ouverts fixes sur le plafond désert. Baffes dans le creux du chant de la bestiole. La communicative joie de vivre de Socrate. Monologue. Soliloque. Rumine. Divague. Tu parles tout seul, mon vieux. Et cela fait une éternité que ça dure.