1.6.22

Palinodie, ce mot ne résume-t-il pas à lui tout seul tout un pan de l’histoire de nos vies ? De la mienne, en tout cas. À cette nuance près que je n’ai pas le sentiment de revenir en arrière. Il m’est arrivé, je ne vais pas fanfaronner en prétendant le contraire, il m’est arrivé de trouver que je perdais mon temps, et de le perdre, en effet, de me demander comment j’allais bien pouvoir m’y prendre pour le rattraper, ou compenser les pertes, ou je ne sais quoi, afin que cette perte ne se prolonge pas indéfiniment (sauf que ce n’est pas le temps qu’on perd, c’est quelque chose qui a lieu dans le temps), mais ce n’est pas cela. On peut concevoir la vie, j’entends : sa propre vie ou la vie en soi, on peut concevoir la vie comme un cercle parcouru en tournant en rond, et les partisans de l’éternel retour du même font partie de cette secte, mais on peut aussi la concevoir comme une spirale, d’où il s’ensuit qu’on ne repasse jamais par le même point, ne revient jamais au même endroit, ne revit jamais le même événement, le temps s’écoule, il va quelque part et si cela n’interdit pas le retour, ce n’est jamais tout à fait le même qui revient, c’est toujours un peu un autre. Il faut ainsi être attentif aux ressemblances et aux différences. Cette façon de voir les choses implique-t-elle une fin de l’histoire ? Je ne sais pas : en tant qu’accomplissement, achèvement, révélation du sens, je ne le crois pas, en tant que coup d’arrêt (temporaire ou définitif), oui, c’est possible, enfin, c’est déjà arrivé, à plusieurs reprises. La reprise, donc, la reprise n’est pas la reproduction à l’identique, la répétition, il y a toujours une différence, même infime, et c’est cette différence qui fait la vie. Hier, ou ce matin, je crois que c’était ce matin, pas hier, ce matin, cette formulation m’est venue : « La greffe n’a pas pris. » Et la métaphore botanique, pour séduisante qu’elle soit, dissimule toutefois quelque chose d’important : la greffe avait probablement déjà pris ailleurs et quelque chose chez moi me retenait, m’empêchait de l’admettre. Ou plutôt : quelque chose qui n’était déjà plus chez moi, ne l’avait peut-être jamais réellement été, mais que je concevais ainsi. Car admettre cela, que ce n’était plus chez moi, c’était admettre quelque chose que je viens de comprendre : que je suis en exil, exilé d’un lieu que j’aime profondément, oui, mais voilà : ce lieu n’existe pas. La Méditerranée n’existe pas. A-t-elle existé un jour ailleurs que dans le récit d’un héros qui la parcourt pour rentrer chez lui ? Alors, au lieu de refuser la réalité de cet exil pour tâcher de fabriquer une autre existence que, de toute façon, il m’est impossible de bâtir, parce que les fondations en sont absentes, sauf dans les livres, sauf en pensée, sauf en écriture, accepter l’exil comme une condition, et l’embrasser. Embrasser Paris.