Façons de vivre sa folie. En avoir peur, s’en méfier ; l’embrasser, la faire sienne. En vérité, elle est déjà sienne, il faut le reconnaître, moins la faire alors que s’y faire, donc. Excentrique : pas qui se fait bizarre, qui ne voit pas dans le déséquilibre un moment entre deux repos, mais dans l’équilibre un repos entre deux mouvements. En vérité, il est probable que ni le mouvement ni le repos ne soient réels, tout se tient. Vivre sa folie, dis-je, et je n’entends pas « la maladie mentale », comme on dit, mais la douce, la vraie, qui nous habite et que nous habitons. Au fond, trouver des façons de vivre sa folie, c’est accepter d’être soi-même, accepter d’être un exemplaire unique, ne pas avoir honte de soi et, sans pour autant avoir confiance en soi, ce qui ne veut rien dire, ne pas se défier de soi. Pourquoi dis-je que « avoir confiance en soi », cela ne veut rien dire ? Parce qu’on prend alors le ce que je suis comme s’il était scindé, comme si une partie parvenait à reconnaître l’autre au prix d’un grand effort. S’il y a une relation à soi, c’est-à-dire, cette relation ne peut cependant pas être pensée sur le modèle de la relation à l’autre, comme quand on dit qu’il faut apprendre à s’aimer, mais non, c’est l’autre que j’aime, moi, je le suis, j’aime l’autre parce que je ne le suis pas, et que je m’aime ou que je ne m’aime pas, je suis cette x. C’est ainsi, je crois, qu’il faudrait concevoir l’identité, non x = x, mais x tout court, l’inconnue par excellence, la recherche, la tension, l’écart, le dépassement, l’embellie, l’envol, façons de vivre sa folie. Et surtout pas sur le ton de la plainte, du déplorer, non, c’est inévitable, je le sais, et il est important de l’accepter, il est important de ne pas se plaindre de se plaindre, mais il ne faut pas chercher à se faire plaindre, vivre sa folie, c’est la recherche de l’inconnue, et elle est belle, ne trouves-tu pas ? Laquelle recherche de l’inconnue exclut d’attendre l’accord de qui que ce soit. Est-ce pour cela que je considère que la seule relation à l’autre est l’amour, que toutes les autres sont fausses ou indifférentes, ou plutôt : ne sont pas ce qu’on dit qu’elles sont, ne sont pas des relations, mais des séparations, des exclusions, des excommunications. D’où la nécessité de ne jamais rechercher l’approbation de personne. L’approbation n’est pas une preuve, c’est une domestication. Domestiqué, le moi devient normal, et l’x connue, comme dans l’équation fondamentale : x = x ; — l’identité, voilà l’essence même de l’ennui. Parfois, je fais des phrases comme je regarderais un paysage inexistant, parce qu’il y a une certaine qualité de lumière dans ma tête, laquelle ne correspond pas à celle que je vois dehors quand je lève le nez pour regarder des yeux par la fenêtre, mais me conduis ailleurs, à envisager l’ailleurs, mais brille d’une chaleur différente, jaune, toujours cette lumière, je sais que je l’ai déjà vue, alors que, sans doute, elle est invisible, j’entends par là : il n’y a que moi qui la voie, je cherche où je l’ai déjà vue, cette lumière, quand je l’ai déjà vu, ce jaune, je cherche et je trouve, alors je copie : « … un bonheur, il n’y a peut-être pas d’autres façons de le dire, mais essayons quand même : comme un éclaircie de l’esprit — je vois réellement une lumière, chaude et qui tire sur le jaune, qui illumine l’intérieur de mon crâne depuis le haut —, qui justifie tout le temps passé, assis sur une chaise, à aligner des signes les uns à la suite des autres sans trop savoir ce que l’on fait, en ayant une idée du sens mais sans savoir si le sens des signes que l’on aligne sera précisément le même que le sens des signes dont on a l’idée. » Et plus loin, je copie toujours : « … l’éclaircie de l’esprit, cette lumière chaude et qui tire sur le jaune à l’intérieur du crâne… » C’était le vingt-trois janvier deux mille dix-huit, autant dire il y a mille ans, je vivais à Marseille, autre dire à l’autre bout du monde, et ces phénomènes d’apparition d’une lumière jaune à l’intérieur de mon crâne, je les associais à l’alcool que je ne buvais à cette période-là. Relisant ce passage, je me dis : Peut-être n’était-ce pas l’alcool. Peut-être était-ce la lumière dehors. Mais comment se fait-il alors que cette lumière, je l’ai vue à l’instant alors même que, dehors, il n’y a pas une touche de bleu à l’horizon, il n’y a que du gris, partout, il n’y a que du gris, c’est que l’objection : « Mais comment verrais-je du jaune dedans s’il n’y a pas de bleu dehors ? » ne tient pas, ce n’est pas du dehors que vient cette lumière, mais elle ne vient pas du dedans non plus, elle vient de nulle part, elle est là, elle apparaît, elle illumine, tout est clair avec elle, tout est clair. C’est l’éclaircie.