J’ai d’abord pensé que le Feu est la flamme du feu marquait la fin d’un cycle — une trilogie que le livre serait venu former avec des Monstres littéraires et Pedro Mayr. Mais est-ce bien le cas ? Ce qui est vrai, c’est que ce nouveau volume se situe dans la continuité des deux précédents : il explore un continent fictif qui, loin d’être complètement étranger à la vie, en constitue peut-être la meilleure part ; non, mieux : la meilleure chance. En revanche, prétendre qu’un livre est jamais la fin de quoi que ce soit, n’est-ce pas se tromper lourdement ? Un livre est toujours un début, un commencement, l’origine d’une aventure qui ne pouvait pas avoir lieu sans lui. Si le Feu est la flamme du feu marque quelque chose, c’est ainsi moins une fin que la conviction selon laquelle la fiction est la seule façon d’écrire ; une fiction qui ne se prive d’aucune ressource, qui exploite le réel lui-même comme une source possible pour raconter des histoires.
Des histoires dans le Feu est la flamme du feu, il n’y a que ça. Des lecteurs qui refusent de sortir de leur lit. Des ombres qui n’ont pas peur de disparaître dans le noir, mais de s’envoler au premier courant d’air venu. Des Européens qui se lamentent à raison sur le sens de l’histoire. Des intrus qui repoussent les limites de la folie. Des écrivains qui rêvent de John Cage. Des objets qui disparaissent sans laisser de traces. Des fantômes qui hantent les rivages de la mer Méditerranée. Et caetera. Des histoires, vraies ou fausses ? Cela importe peu. Car, au royaume de la fiction, la vérité est moins riche que le possible, que l’invention d’une vie qui puisse enfin nous rendre meilleurs que nous ne le sommes, ou du moins, nous encourage à le devenir.
C’est peut-être cela que j’ai découvert en écrivant, et que le Feu est la flamme du feu vient en quelque sorte rendre concret (d’où l’idée de cycle que j’évoquais en commençant) : qu’écrire est toujours solidaire d’une morale. C’est un mot énorme que ce dernier, mais n’a-t-il pas une urgence toute singulière aujourd’hui que nous sommes assaillis par la bêtise, le mépris, la violence, la haine ? Morale, non pas au sens de « faire la morale » — qui oserait sérieusement le faire ? qui s’y risquerait sans s’armer d’une immense ironie ? —, mais morale au sens de l’examen de nos existences, de la critique de ce que nous sommes comparé à ce que nous prétendons être, de ce que nous désirons rapporté à ce que nous faisons vraiment, morale au sens d’un regard lucide, une étude serrée de nos traits. Pas pour le plaisir de nous comprendre, pas par goût pervers de l’examen de conscience, encore moins pour dresser la liste des crimes dont nous sommes coupables, des fautes que nous devrions expier. Mais parce qu’une vie digne de ce nom, enfin digne d’être vécue, une vie ne s’économise pas. Elle se transforme, c’est-à-dire : elle s’imagine sans cesse.
Cette notion d’imagination n’est pas étrangère à la morale dont je parle. Au contraire, elle en constitue la part la plus intime. Car en effet, il ne s’agit pas de revenir en arrière, il ne s’agit pas de se lamenter, ni de pleurer le paradis perdu dans l’espoir de revenir à la souche, encore moins d’invoquer nos racines comme l’ultime moyen de guérir des maux d’aujourd’hui. Non, il s’agit de découvrir de raisons de continuer de vivre, c’est-à-dire : de les inventer.
Le feu est la flamme du feu paraîtra aux éditions Actes Sud, dans la collection « un endroit où aller » le 1er mars 2017.
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