20.3.19

Est-ce que ce serait plus facile si j’étais comme tout le monde ? Mais c’est quoi, être comme tout le monde ? Regardez the voice et appeler ça, de la musique ? Ce matin, Nelly m’a dit que je méprisais les livres qu’elle défendait. Ce qui est faux, je trouve qu’ils sont nuls, ce qui n’est pas la même chose. Et ce qui ne signifie pas, non plus, que je trouve que Nelly soit nulle (c’est ce que je lui ai dit, aussi). Il ne faut pas tout confondre. On pourrait me demander au nom de quoi je décrète, à propos de ces livres, qu’ils sont nuls. D’autant que, les livres, en question, je ne les ai pas lus. C’est une bonne question, en effet. Et la réponse que je ferais serait celle-ci : au nom de moi. Je n’ai rien d’autre pour évaluer les productions, culturelles ou autres, c’est moi qui décide. Et qu’on ne me réplique pas que c’est subjectif, ce n’est pas une objection. Il n’y a de subjectivité que chez les sujets, ces petites choses assujetties. Ce serait plus facile, me suis-je dit, un peu plus tard dans la matinée, ce serait plus facile, si je pouvais écrire avec une moitié de cerveau. Mais ce n’est même pas vrai, même pas certain. Quelle moitié du cerveau faudrait-il que j’ampute ? Je ne sais pas. Si ça se trouve, je m’amputerais de la mauvaise moitié du cerveau, et ce serait pire encore ensuite, j’aurais encore moins de succès qu’avant, avec mon cerveau entier. Non, me suis-je rapidement convaincu, autant garder ta tête en entier et la faire fonctionner pendant le temps qu’il te reste encore à vivre. Dans cinquante ans, de toute façon, avec un peu de chance, tout aura disparu, on sera tranquille. En attendant, le plus étrange, c’est que je vais bien. Je ne dirais pas que je suis convaincu d’avoir raison, ce n’est pas la question — avoir tort ou avoir raison —, mais je suis en accord avec moi-même. Ce que je fais, je l’aime et ce n’est pas parce qu’il est possible que je sois le seul à aimer ce que je fais que je cesserai de faire ce que je fais. C’est une différence de taille entre le monde dans lequel je vis et moi. Dans le monde dans lequel je vis, si quelque chose ou quelqu’un (dans le monde dans lequel je vis, on ne fait pas de différences entre les choses et les personnes) ne marche pas, comme on dit dans le monde dans lequel je vis, ne se vend pas assez bien, ne vend pas assez, ne rapporte pas assez d’argent, etc., on le change (on le remplace, le licencie, le modifie, le détruit, etc.). Moi, alors même que ce que je fais ne marche pas, je ne change pas ce que je fais. Je continue de faire ce que je fais ; je m’interroge, je doute, de tout et de moi, mais je continue d’écrire. Tout m’indique qu’il vaudrait mieux que j’arrête d’écrire, mais je continue. C’est la différence entre le monde et moi. Heureusement, me suis-je dit, heureusement que je ne suis pas au monde. Si j’étais au monde, eh bien, le monde se débarrasserait de moi. Il l’a déjà fait, en réalité, d’où toutes ces histoires de manuscrit pas publié. Mais je ne lui en veux, je me dis simplement : Dommage que ce ne soit pas la fin du monde. En tout cas, ce n’est pas la fin de moi. L’erreur, ce serait de faire comme tout le monde. Ce que je ne sais pas faire. Je ne sais faire que comme moi. Je ne suis même pas une minorité (sinon, le monde aurait déjà trouvé quelque chose à faire de moi, me faire briser un tabou, ou je ne sais trop quoi), non, je suis simplement moi. Je compte pour un. Autant dire que pour le monde, je compte pour rien. Mais un, moi, ça me va.

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