16.4.19

Le besoin de placer une intelligence agissante au principe des événements ou d’y découvrir une portée qui en dépasse les limites physiques est une forme de mentalité primitive qui ne disparaît pas avec le progrès scientifique, technique. Les individus ont toujours besoin d’interpréter ce qui arrive comme l’effet d’une volonté qui décide que tel ou tel événement aura lieu ou de leur donner une dimension transcendante. Que ce soit absurde, que ce soit faux, que cela n’ait en réalité aucun sens n’est absolument pas pertinent ; en l’occurrence, c’est un autre sens que l’on désire. Le hasard aveugle ne rassure pas, au contraire, il est angoissant, il ne répond pas à notre besoin de nous retrouver ensemble pour communier, nous tenir la main et chanter parce que nous sommes terrifiés, au besoin de disposer d’un ennemi commun à détruire, de croire en un unique dieu paternaliste. Que l’existence d’un sens supramondain s’impose toujours comme une évidence dans les esprits, qu’un événement ne soit pas simplement quelque chose qui a lieu, mais soit aussi un symbole prouve qu’il n’y a aucun progrès moral. L’augmentation de l’espérance de vie, le confort matériel, les technologies de la communication, la vitesse de transport physique, et caetera, tout cela laisse intacte notre représentation fondamentale du monde : en plus d’une cause, les événements doivent avoir une raison. Sinon, à quoi bon vivre ? Or, n’est-ce pas précisément de cette question qu’il faudrait partir : s’il n’y a rien, à quoi bon vivre ? et chercher des raisons non pas aux événements (pourquoi est-ce que telle ou telle chose arrive ?), mais à la vie même (comment vivre alors que telle ou telle chose arrive ?). Le redoublement du pourquoi ?n’est pas une bonne question, au moins pour cette raison qu’il ne faudrait plus s’arrêter (pourquoi pourquoi pourquoi ? etc. ad inf.), c’est l’expression d’une volonté d’abréger la recherche d’une réponse à l’angoisse métaphysique, de prendre un raccourci pour parvenir à une réponse qui apaise. Mais la pensée n’est pas balsamique, elle se perd souvent dans des méandres, s’égare en chemin, et ne connaît guère de repos final, sinon par épisodes de fatigue (mais alors elle est moins au repos qu’en veille forcée).

Il n’y a pas de progrès moral parce que les êtres humains ne désirent rien tant qu’arrêter de penser.

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